On l'avait rencontrée sur scène puis appréciée sur disque ; on l'avait laissée en janvier 2008, quand elle nous avait confier en interview son envie d'apprendre l'anglais et de partir "de l'autre côté de la Manche". Il y a ceux qui dans une vie auront plusieurs vies. Mell semble avoir cette bougeotte-là. Elle aura même poussé un peu plus loin, jusqu'aux Etats-Unis et au Canada, pour mieux se réinventer avant un détour par Berlin pour enregistrer un quatrième album, Western Spaghetti, servi par une étonnante équipe de musiciens recruté le long de la route : Toby Dammit (Iggy Pop, Swans et toute une foultitude d'artistes, internationaux mais aussi français), Kid Congo Powers (The Cramps, The Bad Seeds), Randy Twig (Fuck Puppets), mais aussi Volker Sander, Martin Wenk et Paul Niehaus (tous trois de Calexico).
Elle s'internationalise, la p'tite lorraine ? Comme un Baschung devenant Bashung en fuyant l'Alsace de son enfance, Mell semble décidée à enfiler le costard d'une écriture exigeante, ambitieuse, pas seulement gouailleuse, franchouillarde et marrante. L'album de la consécration, sa Fantaisie Militaire à elle ? Pas encore, mais déjà plus tout à fait Pizza (Alain Bashung, 1981).
Ce qui est certain : l'univers musical a bien évolué depuis C'est quand qu'on rigole (2007), dernier opus en date. Et si Mell a gardé le goût de toucher à tout, les compositions se sont étoffées, complexifiées, enrichies. Pour le meilleur et pour le pire, se dira-t-on peut-être le temps d'un "Lisa", single et ouverture de l'album qui, à la première écoute, pourra bien faire frémir l'amateur, avec ses vrais-faux airs de revival dalidien, façon chanson variétoche hyper lisse et apprêtée, éminement datée 70's-80's. Trop propre sur soit pour être honnête.
Heureusement, le reste de l'album sent bien plus la poudre et Mell y laisse parler les six-coups d'une plume alerte, en anglais et en français. On en profite même pour rencontrer d'autres facettes de l'artiste : plus sérieuse, plus adulte, plus corrosive, voire noire, Mell se donne des airs de votre copain Bernard-le-gros-rigolard-de-la-bande lorsqu'il veut bien tomber le masque et vous parler de ses tourments intimes.
Au total, si l'album est moins punky que les précédents, il est surtout plus écrit, plus varié, plus riche. Quelque chose d'un cabaret noir digne de Kurt Veil, des Bad Seeds ou des français de Jack the Ripper. Il semble annoncer surtout, pour ceux qui savent tendre l'oreille, que la petite chanteuse décoiffée que l'on rêvait de pouvoir comparer à son pote Mano Solo a encore bien d'autres tours dans son sac. Elle est sympa, Mell, c'est certain, mais elle est peut-être aussi bien plus que ça.
Au rayon des surprises bonnes, on signalera "Nonsense", reprise en anglais des "Bêtises" de Sabine Paturel, qui symbolise à soi seul l'esprit de ce Western Spaghetti sérieux et pas trop à la fois : des bêtises que l'on annonce avec le sourire, la reprise façon Tom Waits d'un titre hyper-kitsch-et-chic. Faut pas la laisser toute seule, Mell, elle risque fort de tout casser. |