Après cinq ans d'absence, le Crou Stupeflip revient en force avec un album, Hypnoflip Invasion. Réputé pour ne pas aimer faire de prestations scéniques (en tout cas, d'après leurs déclarations), le Crou a participé à quelques festivals et vient hanter la scène du Bataclan pour deux soirées.
A l'entrée de la salle se presse un public assez divers, qui va de jeunes gens arborant des T-shirts du groupe à des punks old school avec crêtes colorées. On note la présence d'un poulet (!) et de personnes masquées d'imitations plus ou moins réussies de la cagoule de l'ineffable King Ju, âme damnée du Crou.
A l'intérieur, l'ambiance est chaude, le public est surexcité et la bière coule à flot. Il faut dire que leur patience sera mise à rude épreuve. L'attente sera longue et pour chauffer l'ambiance Bruno Candida (qui n'est autre qu'un des avatars de Cadillac) investit la scène, portée par un diable comme un meuble. Son set est une imitation de discours d'hommes politiques ou de reportages joués en play back, dont l'ordre des mots a été subtilement trituré pour modifier indiciblement le sens et en exacerber le ridicule. Je vous conseille un tour sur son site internet pour comprendre par vous-même.
De nouveau l'attente pour le public qui piaffe d'impatience. A son entrée sur scène, une jeune femme nommée GiedRé, est accueillie par une pléthore de doux noms d'oiseaux, dont de nombreux "A poil"… forcément. Loin de se laisser démonter, la chanteuse répond de sa diction volontairement approximative à chacun, et entame sa série de chansonnettes décalées.
Et le mot est faible, GiedRé s'est inventée un univers fait de chansons qu'on pourrait qualifier de pop/folk, tranchant avec des textes mélangeant handicapés, sodomie et autres joyeusetés politiquement incorrectes. Les chansons sont ponctuées d'explications de texte (toujours accompagné de AAA PPOOOOIIIIILLLLL !) et malgré la drôlerie évidente de la demoiselle, son passage est un peu ennuyeux. Il vaudrait peut-être mieux découvrir l'univers de GiedRé lors d'une soirée d'enterrement de vie de jeune fille au restaurant, plutôt que dans une si grande salle et avec les olibrius présents ce soir.
Décidément, soit Stupeflip joue la star américaine, soit il y a du retard dans l'organisation, mais l'attente fait monter une pression de plus en plus palpable. Les lumière s'éteignent enfin et la cocotte minute qu'est devenue la salle explose. C'est dans le noir, que le DJ envoie la "Présentation" rythmant l'arrivée progressive des membres du Crou, vêtus de robes noires et encagoulés. King Ju à la guitare, Cadillac et MC Salo entament "Les Monstres". Viendront ensuite "Mon Style en Crr" et "Hater's Killah", occasions pour le public de laisser exploser sa rage/joie au rythme des textes et de la guitare électrique.
Cadillac et King Ju occupent la scène, c'est lourd et extrêmement bon. Les mises en situation et les tableaux s'enchainent, les costumes, la scénographie, tout est tiré au cordeau et réellement à propos. Rien ne sonne faux, tous les éléments de décors sont au service de la musique et du public. Une bonne leçon de scène que Stupeflip nous donne ici. L'inspiration musicale vient clairement du rap, évidente source d'inspiration pour la bande à King Ju. On pense à Cypress Hill, Wu Tang. Le rock n'est pas en reste, avec des guitares qui "se fâchent comme dans un groupe de trash", King Ju hurle sa rage comme si sa vie en dépendait et ça fait du bien.
Stupeflip ne seraient pas ce qu'ils sont, sans Pop Hip et ses désirs de musique pop. C'est donc lui qui prend place, guitare à la main, visage masqué par des lunettes de soleil trop grandes et trop rouges. Pop Hip surjoue son rôle de gentil de popeux, et ponctue sa présence sur scène par des gimmicks de langage "Salut, c'est Pop Hip !" dont il use et abuse. Il interprétera l'indispensable "Depuis qu'je Fume pu d'Shit", mais dans une version nettement plus musclée. "Les Cages en Métal" sera elle volontairement plus niaise que sur disque.
Pop Hip sera assassiné sur scène par Cadillac, et un recueillement sera observé par les membres du Crou, avant de voir revenir l'alter ego enragé King Ju. La troupe distribuera des "masques de marketing", ordonnera au public de les mettre pour prendre une photo, les idées saugrenues ne sont pas données à tout le monde. Cela permet de constater que le groupe à plusieurs degrés de lecture, ici légère. Mais on ne déconne pas avec la musique. Le retour du méchant Ju verra aussi l'interprétation de "Apocalypse 894" et de "Stupeflip vite !", qui achèveront de satelliser le public.
Le rappel, coutume dont on pourrait penser que le Crou n'est pas friand, sera une apothéose, rien moins qu'une version diaboliquement réussie de "A Bas La Hiérarchie", l'un des titres majeurs du groupe, puis la scène se vide des musiciens sur un quiproquo. Seul, le DJ balancera "La Menuiserie" pour finir.
Cette soirée se termine un peu en eau de boudin, la fin est arrivée trop vite, tout le monde n'a pas bien compris et reste sur sa faim. On se réjouira d'apprendre que le Crou sévira de nouveau sur la scène de l'Olympia, en novembre prochain. En attendant, il me faut absolument aller déguster un mystère au chocolat, en espérant en percer le secret. |