Voilà près de trois ans que les inconditionnels de Fred Vargas sont au taquet.
Et, enfin, mai 2011 voit débouler "L'armée furieuse" qui entraîne le fameux commissaire Adamsberg, à nouveau, après "Dans les bois éternels", dans le bocage normand.
En parallèle à deux pragmatiques meurtres parisiens, son anti-héros, à l'opposé du policier haut de gamme, part déjouer la prédiction de morts prochaines annoncées par le passage de la Mesnie Hellequin, une armée de morts-vivants qui sillonne l'Europe du Nord depuis le début du 11ème siècle, qui bouleverse le fragile équilibre d'une bourgade rurale sous influence de superstitions ambiantes. Cela commence donc, comme dans nombre de ses romans, tels "L'homme à l'envers" et "Pars vite et revient tard", par
son intérêt pour les mythes et les peurs qui traversent les siècles qui leur confère un arrière-plan gothique. Mais ce n'est que l'arbre qui cache la forêt.
Ainsi en l'occurrence, sous couvert de justice immanente et de surnaturel, Fred Vargas aborde, en quelque sorte, par la démonstration illustrée, des thématiques tout aussi passionnante, aux confins de la science et de la philosophie, qui sont celles de la représentation du monde, du déterminisme et de la théorie du chaos.
Et seul Adamsberg, homme angoissé et policier hors norme aux ésotériques méthodes de travail "à l'ancienne"
sans commune mesure avec les sophistiquées méthodes d'investigation contemporaines, entouré de sa brigade, résurgence de la cour des miracles ("Parmi mes hommes, capitaine, il y a un hypersommniaque qui s'écroule sans crier gare, un zoologue spécialiste des poissons, une boulimique qui disparaît pour faire des provisions, un vieux héron versé dans les contes et les légendes, un monstre de savoir collé au vin blanc et le tout à l'avenant") et contre-armée en chasse elle aussi à commencer par celle de ses propres démons, pouvait être le véhicule de cet enchevêtrement de liens de causalité et le passeur du hasard qui n'existe pas.
Celui désormais qualifié de "pelleteur de nuages" a certes la tête dans les nuages mais les pieds bien ancrés dans la terre, homme qui marche en foulant inlassablement la matière vivante et symbolique,
et le flair d'un chien truffier sous neuroleptique qui se laisse distraire par l'envol duveteux de la fleur de pissenlit.
Et comme une éponge, il absorbe tout ce qui passe à sa portée et l'intuition, qui n'est que la partie émergée de ce qui en émerge, le conduit à révéler les liens arachnéens qui relient les personnes et les situations.
Avec l'aide de sa trinité personnelle et salvatrice
("...quand on ne peut pas aller au bout de quelque chose, il faut demander à Veyrenc, quand on ne parvient pas à faire quelque chose, il faut demander à Retancourt et si on ne connait pas quelque chose, il faut demander à Danglard") et un bestiaire éclectique, il démasque le cruel qui entrave les pattes de pigeons grâce à un joueur de yoyo et les assassins grâce à la gourmandise des chiens et à la compréhension de la chaîne de causalité unique qui commence loin dans le passé.
Et c'est ce qui passionnera le lecteur, peut-être à l'insu de son plein gré, dans cet opus. |