Je ne sais pas pourquoi, mais en regardant Tété
investir la scène Glenmor, je me suis dit que ce garçon
est décidément bien différent de tout ceux
que j'ai pu voir avant lui.
Athlétique, il émane de sa personne une infinie douceur
et une grâce rare.Déjà pendant la conférence
de presse, Tété s'était prêté
de bonne grâce et avec beaucoup d'humour aux questions métaphysiques
des journalistes.
Peut-on
faire de la musique folk quand on est noir ? Devant l'éternel
débat creux de la pensée héllène et
du rythme africain, l'ami Tété a choisi le parti d'en
rire et de savourer la vie comme elle vient, sans prise de tête.
Et lui, à qui certains photographes ont reproché
de chanter les yeux fermés, en cette belle journée
d'été, Tété savoure le large public
sous ses yeux. Le set accoustique est - comment dire ? - parfait,
le groupe distille une musique cool, réhaussée par
les mots d'orfèvre de Tété. Un concert doux
et chaud comme une caresse d'été, qu'on aurait bien
aimé voir se prolonger un peu plus loin. Superbe.
Le soleil darde en ce bel après midi de juillet sur Kerampuihl
et on bénit le ciel que la scène Kerouac soit à
l'ombre, avec le soleil dans le dos, d'autant qu'on annonce l'arrivée
imminente du Jim Murple Memorial sur scène.
Des cuivres, une section rythmique et une adorable petite frimousse
qui chante, joue de la trompette et bouge son corps - qu'elle a
d'ailleurs fort joli - comme pas deux.
Jim
Murple c'est totalement et définitivement inclassable, tant
le registre passe des sonorités rythm and blues à
l'ambiance déconnante des meilleurs groupes de ska.
On sent que tous les musiciens sont d'abord là pour s'éclater,
s'amuser entre eux, d'abord, conscients qu'ils sont que l'aspect
festif de leur musique est largement contagieux. D'ailleurs, les
effets ne se font pas attendre.
En deux titres, l'affaire est dans le sac et les vingts premiers
rangs sont secoués par le shaker du Murple. D'ailleurs, on
n'est plus à Carhaix, on est au fin fond de la Louisiane
ou de la Nouvelle Orléans, sirotant un de ces alcools doux
dont ils ont le secret, là-bas, de l'autre côté
de l'atlantique. Aux sons du combo, on se laisse aller, tranquille,
heureux, peinard. Avec Jim Murple Memorial, la vie est un sourire
ponctué de notes. Cool...
Backstage, dans le catering, un type s'échauffe sur sa
guitare, tout seul, peinard et visiblement concentré. Mathieu
Chedid - puisqu'il s'agit de lui - prépare son concert
de ce soir.
Nul ne voudrait déranger le dialogue de l'artiste avec sa
guitare et pourtant un type s'approche de Matthieu, démarche
chaloupée et s'accroupit pour le saluer.
Il faut dire que ces deux-là s'y entendent quand ils ont
une guitare entre les mains et le type qui vient de s'approcher
manie sa Gibson Les Paul comme personne. D'ailleurs ça tombe
bien, son nom est Personne. Il est sur la scène Glenmor,
observe la foule, immense, devant lui et se marre doucement. Le
visage est marqué mais le jeu sur la Takamine accoustique
est toujours aussi ébouriffant.
Paul
Personne est un guitar hero, un vrai, un pur, l'un de ces
derniers dinosaures qu'on se targue d'avoir vu au moins une fois
sur scène.
J'attends le moment où son backliner va lui tendre sa Gibson
dont il tire la quintessence.
Pur bluesman, Personne vit la musique et les sons qu'il extirpe
de sa Les Paul, des sons venus d'un autre âge, le son des
esclaves noirs dans le sud profond.
Et puis il y a cette voix, cette putain de voix inimitable, rocailleuse,
belle à force d'avoir été usée. Par
moment, je suis partagé entre la nécessité
de shooter de l'image et le bonheur de savourer le concert. Je dois
quitter la scène avec amertume car je sais qu'un autre concert
d'exception m'attend juste après. Je laisse Paul Personne
savourer son bonheur avec le public des Charrues et je garde le
souvenir du musicien debout devant la foule, les deux pouces levés.
You rock guy !
Je sais. Je le sens venir ce concert et parce que je connais bien
Cali pour avoir assisté à
deux concerts absolument inoubliables - le premier à l'Espace
Vauban, le second à Run Ar Puns - je pressens qu'il va se
passer quelque chose d'intense, d'unique, d'énorme, là,
maintenant sur la scène Kerouac.
Je
sens l'émotion, elle est palpable, elle est là partout
dans les yeux des spectateurs.
Cali arrive sur scène et prend tout cela en pleine face,
le public de Kerampuihl est là, rien que pour lui, rien que
pour ses yeux et cette fois ils ne sont pas quelques centaines mais
plusieurs milliers à vouloir se noyer dans le regard bleu
azur du bel hidalgo.
Ce qui va suivre tient de la magie, de l'alchimie, entre l'artiste
et ses musiciens sur la scène et cette entité unique
qu'on appelle le public.
Immédiatement, le public accroche, s'empare de Cali, ne
fait plus qu'un, une osmose parfaite, un feeling qui passe, soutenu
par les textes doux amers de "l'amour
parfait" sur des musiques qui font bouger et qui donnent
du plaisir. Et puis l'envie pour Cali d'aller plus loin, l'impérieuse
nécessité d'aller au contact pour que l'instant soit
encore plus fort, des dizaines de mains se lèvent alors que
Cali se love, s'étend, la tête dans les étoiles,
les larmes aux yeux, le voilà maintenant porté, transporté
par le public, par son public dans un pur moment d'extase. Pour
moi, dans le viseur, chaque instant est un vrai moment de magie.
Ce soir t'appartient Cali, cet instant est à toi et jamais
la plaine de Kerampuihl n'oubliera ton nom, gravé dans le
sillon des Charrues, le nom d'un petit fils d'immigré rital
parti un jour combattre la vermine franquiste au coeur des Brigades
Internationales.
Je sais, moi, qu'il était là, ton grand père,
quelque part près de toi, qu'il a vu tes larmes lorsque tu
t'es effondré en sortant de scène, foudroyé
que tu étais par les élans d'amour du public de Carhaix.
Ce soir, j'ai entendu sa voix murmurer : "Ecco Cali, lo splendido".
Voici Cali, le magnifique.
Je suis à peine remis des émotions vécues
avec Cali qu'il faut déjà rejoindre au pas de course
la scène Glenmor où doit se produire une égérie
de la scène rock, Patti Smith herself
!
En arrivant au check point, la mine déconfite de quelques
photographes présents me laissent entrevoir des difficultés
et effectivement, quelques instants plus tard, le manager photo
nous informe que Patti Smith souhaite éviter une ruée
de photographes dans la fosse. C'est donc à l'extérieur
de la fosse, escaladant un escabeau de fortune aussi fragile qu'incertain
que je shoote Miss Smith, comme ça, juste pour le souvenir.
Paradoxalement
je n'en n'apprécie que mieux le concert et ce bon son dont
seule la girl power a le secret.
Bien sûr, comme tout le monde Patti a pris quelques rides
et subi l'outrage du temps, mais sa voix, elle, n'a pas bougé,
puissante, profonde, reconnaissable entre toutes.
Patti Smith assène les titres nouveaux comme l'incontournable
"People have the power" repris
en choeur par le public comme un hymne. Y'a pas à dire, la
nostalgie a du bon...
Emilie Simon est programmée sur la scène Xavier
Graal et vingt minutes plus tard commence le show de -M- sur la
scène Glenmor. Bon, je me dis que ça risque d'être
chaud, mais c'est jouable. Je ne veux rater ni la prestation de
l'une ni le début du concert de l'autre.
Du côté de la scène électro, un Dj passe
son mix, accroché qu'il est à ses platines. Et puis
ça y est, enfin, elle apparaît, elle dont j'ai entendu
tant de bien, dont je garde un souvenir ému aux dernières
Victoires de la Musique. Emilie Simon
n'est pas un phénomène de foire, mi-ange, mi-démon
électro.
Cette
musicienne touche à tout a en elle quelque chose qui tient
du génie, aussi à l'aise au manche de sa Fender bleu
pastel - au look très fifties - que sagement assise au piano,
virevoltant comme un papillon de nuit, pilotant le son de sa voix
en taquinant un étrange joystick fixé à son
bras gauche. Etrange et fascinante, Emilie Simon l'est assurément.
Avec sa jupe à volants noirs et blancs, on pourrait la croire
sortie tout droit d'un roman de Lewis Caroll... D'ailleurs c'est
le lapin pressé qui me sort de ma torpeur en me chuchotant
à l'oreille : "en retard, en retard, tu vas être
en retard..." Damned ! En si bonne compagnie je n'ai pas vu
le temps passer, j'ai cinq minutes pour rejoindre Glenmor ! Je quitte
Emilie avec amertume mais une chose est sûre, on se reverra
bientôt...
La nuit tombe doucement sur le festival, la foule immense, compacte
attend celui dont elle sait qu'il va mettre le feu à la plaine
entière. Il est là, backstage, il attend patiemment
le top départ, le col malicieusement relevé, il serre
nerveusement les poings.
Cette fois, ça y est, les fauves du cirque -M-
sont lâchés sur la scène, la foule exulte,
les lumières explosent, enflammant Kerampuihl, l'onde de
choc atteint jusqu'au dernier rang et au delà. Quelle incroyable
histoire que celle de ce garçon si timide, un brin réservé
qui bondit de part en part, le diable au corps lorsqu'il est habité
par ce diablotin facétieux de -M-.
Le dandy virtuose se permet le luxe de quelques solos ravageurs,
réhaussé par une bande de musicos tous plus doués
les uns que les autres, dont l'excellentissime Vincent Segal hallucinant
au violoncelle.
Ce
soir, c'est le grand soir, Mister -M- est déchaîné,
en osmose radicale avec le public le show devant est servi avec
maestria !
Non je ne connais pas l'Afrique, scandé par cinquante mille
personnes, croyez-moi sur parole, ça le fait. Dans le viseur,
c'est la totale, mon oeil ne sait plus à quel saint se vouer,
alors je shoote en essayant de raison garder, un challenge, une
mission quasi impossible quand on a -M- dans le collimateur.
Fabuleux, le -M- show est fabuleux. La proximité avec le
public est renversante surtout pendant la séance du gimmick
où un musicien anonyme vient se la jouer - excusez du peu
- devant le public du festival. Si vous avez déjà
assisté à un concert de -M- sur cette tournée,
vous savez de quoi je veux parler. Sinon, un bon conseil, foncez
vite voir -M- sur scène, c'est bon comme le bonheur.
J'allais
quitter Kerampuihl et sur le thème du "petit dernier
pour la route", à minuit et demi passé, j'ai
croisé du côté de Kerouac. Là-bas,
Rodolphe Burger faisait la fête avec ses potes.
Erik Marchand, apôtre du gwerz,
chante sur des arrangements maison signés Burger qui s'affaire
autour de sa guitare et de son synthé boîte vocale.
Et puis c'est au tour de James Blood Ulmer
- avec qui Burger et le Meteor Band viennent de réaliser
un superbe album - de rejoindre la scène dans l'enthousiasme
général. Quelques shoots plus tard, je décide
cette fois de rentrer, dix concerts dans la journée, enough
is too much. La guitare de Rodolphe Burger et les riffs groovy de
Blood m'accompagnent sur le chemin du retour.
Demain sera un autre jour, le premier jour du reste de notre vie.
Thanks guys.
Crédit photos : Hervé LE GALL, Cinquième
nuit
|