Il aura fallu deux jours de chauffe pour que je rentre enfin dans l’ambiance et que je passe en mode festivalier. C’est donc l’esprit reposé par une paisible journée ensoleillée en bord de mer que j’entame cette troisième soirée qui s’annonce prometteuse.
Rien de tel pour commencer les festivités que ce concert de Los Ginkas ! Ces Pipettes à la mode Espagnole (même look, même chorégraphies minimalistes, même chansons légères) ne se prennent pas la tête, mais font dodeliner les nôtres. Sous un soleil de plomb, le groupe enchaîne sans souffler leurs pépites pop colorées. Ils n’ont que 30 minutes et profitent de l’occasion pour caser un maximum de titres, du coup, on se croirait un peu à l’usine et cela manque d’échanges mais leur rockabilly est une parfaite entrée en matière pour la suite.
La suite justement se situe du côté de la scène Fib Club avec Smile. Le groupe Suédois rappelle vaguement les Levellers (vocalement) et Lloyd Cole, soit une Country rock sympathique, sans plus.
Je préfère me rabattre sur Tame Impala qui a les honneurs de la Maravillas. Leur titre planant "Solitude Is Bliss" m’avait fortement donné envie d’en entendre davantage en live. Et je dois avouer que je n’ai pas été déçu : ces jeunes Australiens ne s’en laissent pas compter et font preuve d’une maîtrise impressionnante. Leur rock psychédélique bien barré évoque immanquablement le Floyd des débuts mais on y croise aussi Brian Jonestown Massacre ou Death In Vegas. De louables influences qui se mêlent pour produire des morceaux à rallonge, à la structure complexe et imprévisible. Tant de talent à cet âge, c’est écoeurant ! Le "Skeleton Tiger" final nous noie sous un déluge interminable de guitares et de nappes dont on ressort un peu sonné… A suivre de très près !
Histoire de récupérer, je prête juste une oreille, en mangeant un sandwich, aux Anglais de Spectrals (dont le chanteur ressemble à celui de Simply Red… c’est à peu près tout ce que j’en ai retenu !) avant de revenir vers les mystérieux Lori Meyers dont j’entends parler depuis le début du festival et dont le nom est arboré fièrement par toute la jeunesse Espagnole. C’est manifestement des stars ici et le public a répondu présent massivement (je pense qu’on doit frôler les 90% de locaux. Vu la réduction des jets de bières intempestifs, les Anglais ont dû prolonger leur baignade). Passée l’idolâtrie primaire (et l’engouement impressionnant !), côté musique, c’est du rock variétoche et l’animation est davantage dans le public que sur scène. Le tout est agrémenté de quelques clips qui fleurent bon l’auto-promotion, mettant en scène les membres du groupe dans d’improbables courses poursuites. Bref, j’observe tout ça avec pas mal de recul.
C’est l’heure de la révélation Mumford & Sons. L’an passé, je dois dire que leur concert m’avait laissé indifférent. Ce coup-ci, j’ai été happé dès les premières notes ("Sigh No More") par leur folk débridée. L’enchaînement avec le tube "Little Lion Man" est parfait, tout comme l’acoustique (guitares sèches, violoncelle). Le choix des titres (piochés à parts égales dans leurs deux albums) est judicieux, le tout est sobre mais efficace. L’élégant "The Cave" vient clôturer une intéressante prestation.
Tout cela m’a mis en appétit pour le concert suivant que j’attends avec impatience. C’est l’heure de Beirut, l’anti-Strokes ? Le concert va en effet être diamétralement opposé à celui de la veille ; certes les styles ne sont pas comparables, mais les attitudes non plus ! Le groupe apparaît complètement soudé et Zach Condon ne se met absolument pas en avant. Le public en effervescence frémit de plaisir : le show est humain, sincère, émouvant, bouleversant. Les tubes se succèdent, portés par des musiciens talentueux et c’est un vrai bonheur d’entendre en live "Postcards from Italy", "Nantes", "Mount Wroclai"…
L’aberration de la programmation entraîne comme souvent des décisions difficiles ; ici, il s’agit de se décider entre suivre la fin du concert ou ne pas rater le début de celui des Arctic Monkeys. Si mon choix est rapide, une bonne partie du public quitte les lieux pour se diriger vers la grande scène. Ce surcroît d’intimité est finalement plutôt bénéfique et même si le son est un peu faible (il a parfois du mal à couvrir la grosse artillerie des Monkeys) et souffre d’une basse trop présente, les conditions (sous un ciel étoilé et éclairé par une magnifique pleine lune) sont idylliques.
C’est la tête pleine d’harmonies, de trompettes et d’accordéon que je tente de rejoindre le concert des Arctic Monkeys. Transition trop difficile ? En tous cas, j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dedans (au propre comme au figuré, tant la foule est dense) malgré un set électrique et vivant. Toujours ce manque de charisme qui devient pesant à la longue. Je crois qu’avec l’âge je deviens difficile ! Rien à dire pourtant sur la réalisation : tout est propre, carré, énergique. Mais la mayonnaise ne prend pas vraiment même si on y croit sur quelques envolées (les bons vieux "I Bet You Look Good on the Dancefloor" ou "Brainstorm"). Je m’aperçois en fait que j’ai un peu décroché depuis les deux premiers albums, peu joués ce soir. Ceci explique peut-être cela. Le show s’achève sur un sobre "505" qui ne me convainc pas, je reste un peu sur ma faim.
Je commence à ressentir un peu de lassitude alors que se profile le concert de Primal Scream qui joue leur mythique Screamadelica dans son intégralité (1991, le temps passe…), comme c’est devenu la mode (Belle and Sebastian, Low, Sonic Youth, les Pixies ou The Charlatans se sont déjà prêtés à l’exercice avec leurs œuvres majeures ces dernières années).
Pour ma part, je dois honteusement reconnaître que j’ai découvert Screamadelica sur le tard. Et malgré une piqûre de rappel sur la route me menant au festival, je n’ai jamais été transcendé ni par le groupe, ni par l’album (excepté l’atomique Loaded, bien entendu).
Et bien j’ai pris une claque énorme ! Encore plus énorme qu’elle m’a frappé par surprise ! De celles qui vous font prendre conscience que vous vivez un moment unique. La prestation a été irréprochable, magique. Dès les premiers notes (le démentiel "Movin’ On Up"), j’ai dû abandonner les gradins tant il était impossible de résister à l’appel de Bobby et de sa bande. L’album a été littéralement sublimé par un groupe au sommet de son art. Bobby Gillespie tout d’abord, vêtu d’une improbable veste à paillettes, se déhanche sans compter, la voix miraculeusement intacte après toutes ces années d’excès ("Higher Than the Sun" est approprié !). Les musiciens sont au diapason : discrets mais efficaces, proposant des versions modernes des titres sans en trahir l’esprit. Une prouesse. Enfin, la chanteuse assurant les chœurs est tout bonnement formidable.
Un grand moment, une transe collective partagée par un public en liesse. A la fin du concert, Bobby manifestement ravi de l’accueil et de la prestation s’offre un bain de foule et serre des mains, façon Rock Star.
Et c’est le sourire jusqu’aux oreilles que l’on peut partir se coucher, en se disant qu’on vient de vivre quelque chose de rare, qui a lui seul justifie amplement le déplacement. Une fois de plus, les Anciens ont remis les pendules à l’heure. |