"Joueur_1", le dernier opus en date du romancier canadien Donald Coupland, s'inscrit parfaitement dans le registre des huis-clos délétères et des atmosphères d'apocalypse qu'il affectionne et constituent sa marque de fabrique dans lesquels il décline ses thématiques récurrentes que sont la solitude, la normalité, l'échec et la quête de rédemption.
Tout comme la propension à nouer de fausses vraies intrigues qui se délitent en eau de boudin et qui ne semblent qu'être une concession spécieuse à la rationnalité et un alibi réaliste aux couleurs d'anticipation.
Mais peu importe au fond puisque le roman n'est qu'un cadre illustratif pour traiter de manière subliminale, en sous-texte, des concepts pseudo-scientifiques et de théories plus ou moins projectives sur la post-modernité et la post-humanité qui obsèdent l'auteur et dont le détail figure à la fin du roman dans un impressionnant lexique intitulé "La légende de l'avenir".
Et sans doute est-il judicieux de commencer par sa lecture.
S'inspirant du procédé narratif du feuilleton télévisé américain "24 heures chrono", cet opus sous-titré "Ce qu'il adviendra de nous" et placé sous la sentence de l'inconnue "loi de Doug" ("Tu peux choisir de détenir l'information ou de vivre, mais pas les deux"),
retient l'heure comme unité de temps et de chapitrage, en l'occurrence au nombre de 5, pour une narration constituée par la juxtaposition des soliloques et des récits subjectifs de 5 personnages.
Tout commence par une hausse phénoménale du prix du baril du pétrole qui va plonger les Etats-Unis dans le chaos total et sous un nuage toxique qui va tout exterminer sur son passage. Un scénario de fin du monde à faire saliver les scénaristes d'Hollywood mais qui laisse de marbre une poignée de quatre personnages, en transit spatial et en standby de leur vie, qui se retrouvent confinés dans un no man's land par excellence, un bar d'aéroport, qui va se transformer en bunker de survie.
En effet, aucun signe de panique face à la probabilité d'une mort imminente chez ces figures archétypales, voire caricaturales, qui semblent préfigurer d'un générique de superproduction étasunienne, dont les points communs résident en la quête obsessionnelle de la normalité, un mysticisme avéré et une indifférence relative au sort d'autrui.
A côté des personnages épisodiques que sont le rendez-vous sudokien, un gourou, un sniper contaminé et un ado rescapé déboussolé, deux femmes : une femme dans sa belle quarantaine qui rêve encore du prince charmant et a fait 1 500 kilomètres en avion pour rencontrer un inconnu internaute qui, partageant la même passion pour le sudoku, pourrait être l'homme d'une nouvelle vie et une jeune fille superbe mais atteinte du syndrome d'Asperger qui cherche un géniteur pour avoir une enfant et prouver à son père qu'elle est humaine.
Et deux hommes, un pasteur défroqué qui a pris la poudre d'escampette avec le magot de la paroisse et un barman qui a réussi son stage aux alcooliques anonymes, qui tourne en rond dans cette cage de laboratoire sous les yeux d'un étrange narrateur invisible et intermittent, le fameux Joueur_1 dont il est aisé de deviner, d'une part, qu'il s'agit d'un artefact et, d'autre part, de subodorer qu'il se cache sous l'identité d'un des humains. Et sans doute même de déterminer lequel.
Alors quelles seront les conséquences de ce huis-clos sur fond de fin du monde et ces cinq personnages survivront-ils à l'apocalypse pour devenir les fondateurs d'une nouvelle ère, celle du troisième testament après qu'un nouveau déluge aura rendu à la planète sa pureté originelle ?
Au demeurant, peu importe le dénouement prévisible. Donald Coupland manipule avec aisance les mots qui induisent dans l'esprit du lecteur un suspense qui n'existe pas et le récit conclusif a la force prédicatrice d'un sermon de Bossuet.
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