C’est avec tendresse et gravité que Miossec a toujours parlé de nos vies.
Boire restera l’album indépassable de sa carrière (quand même on aurait tendance à préférer Baiser, ou plus encore le sous-estimé Brûle), celui vers lequel on reviendra lorsqu’on aura tout oublié. Depuis ce coup de maître, le chanteur breton n’a pas bougé d’un iota, que ce soit sur disque ou sur scène. D’ailleurs, en concert, il garde la même posture (d’ivrogne) qu’à ses débuts : pas de gentillesse mais une agressivité plus ou moins canalisée (quoiqu’il se soit un peu assagi dans ses invectives depuis 1995). Son style reste immédiatement reconnaissable, c’est une musique de tonalité mineure : textes construits selon les mêmes alternances de rime ; phrases courtes resserrées sur elles-mêmes ; trait incisif impliquant dans un même mouvement densité d’idées et fluidité. Le ton dépouillé rejoint une pensée sans concessions que l’humour rend accessible.
Miossec interroge son époque avec le génie colérique qui lui est propre. Nous sommes seuls et sans excuses, voilà ce qu’il n’a jamais cessé de nous dire. Ses chansons sont celles d’un solitaire passionné de liberté, d’un libertaire ne parlant jamais d’engagement, d’un timide se donnant l’apparence d’un homme couvert de femmes. Il dit souvent l’essentiel en peu de mots, par des raccourcis et un sens de la formule dont deux de ses maîtres avaient le secret : je parle de Georges Perros et Henri Calet.
Je suis reconnaissant à Miossec de m’avoir fait découvrir ces deux auteurs français du XXème siècle. L’influence majeure de Perros – cet autre breton finistérien − est d’ailleurs perceptible dans le titre du dernier album, Chansons ordinaires, renvoyant au recueil de poèmes autobiographique Une vie ordinaire.
J’écoute moins Miossec depuis que je suis retourné à la source. "Ne me secouez pas je suis plein de larmes" : cette célèbre phrase d'Henri Calet, figurant à la fin de son dernier livre inachevé Peau D’ours, est reprise également sur scène : même si Miossec la chante avec conviction, on se demande s’il n’y a pas quelque impudeur dans ce plagiat (une citation non revendiquée correspondant assurément à un plagiat). "Pas du tout, nous dirait Isidore Ducasse : le plagiat est nécessaire, le progrès l’implique". Convenons alors qu’il s’agit d’un simple exercice d’admiration.
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