Solo théâtral adapté du roman éponyme de Marie Darrieussecq et interprété par Alfredo Arias.
"Truismes", le premier roman de Marie Darrieussecq, avait marqué les années 1990. Etonnamment pour un succès littéraire de cette ampleur, il n'avait jamais encore été adapté (et ce même si Jean-Luc Godard en a acquis les droits d'adaptation cinématographique...un jour, peut-être ?).
"Truismes" se présente comme une version contemporaine, féminine et charcutière du drame que vit Gregor Samsa dans "La Métamorphose" de Kafka. Zoé, jeune femme déjà marginalisée (entre chômeuse et masseuse avec finitions), se transforme progressivement en truie. Il lui pousse des pieds de porc, une queue en tire-bouchon, des mamelles surnuméraires, son corps devient extraordinairement rebondi et rose. Parallèlement, elle se prend de passion pour les patates crues et les baignades dans la boue.
Main dans la main (patte dans la patte ?) Marie Darrieussecq et le metteur en scène argentin Alfredo Arias, avec également la collaboration de l'écrivain (argentin lui aussi) Gonzalo Demaria, ont travaillé à une réécriture du texte qui puisse prendre vie sur une scène de théâtre. Exercice doublement délicat, Alfredo Arrias s'étant mis en scène lui-même.
Depuis sa découverte du dessinateur du XIXème siècle JJ Grandville, célèbre pour ses hommes à têtes d'animaux, Alfredo Arias avait conquis le public par un univers dramatique laissant justement une grande place au merveilleux et aux chimères (dès 1977, avec "Les Peines de coeur d'une chatte anglaise"). Quoi de plus naturel que de le retrouver aujourd'hui, tellement conquis par l'histoire de cette femme-à-groin qu'il éprouve le besoin d'en assurer lui-même l'incarnation ?
De ce très dense roman, la pièce restitue des bribes et éclats, à travers le regard de quelques personnages-clés, témoins de la métamorphose, et par la femme-truie elle-même. C'est Alfredo Arias seul en scène qui prend en charge tous les personnages, grimé, masqué, relevant ce défi grâce à une technique gestuelle proche de la commedia dell'Arte.
Une riche lesbienne, une dermatologue people, une PINE (Policière Infirmière Nonne Evaluatrice), une bigote...autant de miroirs sans pitié qui renvoient à Zoé l'image de sa porcinification.
Dans son interprétation, Alfredo Arias oscille entre l'excellence et l'approximation. Le ressenti de la narratrice mutante est surtout montré par des vidéos du réalisateur espagnol Antoni Aloy, qui viennent occuper les changements de scènes. Assez dures, ce sont elles surtout qui ouvrent la porte d'une réflexion sur ce qu'être femme veut dire, et sur la sauvagerie humaine.
Quelques regrets toutefois : l'éclatement du récit dans cette adaptation qui cite beaucoup d'épisodes sans forcément en livrer davantage que des allusions et la déperdition en ligne du bonheur de lecture qui tenait au style de Marie Darrieussecq, qui perd l'essentiel de sa consistance dans l'opération.
En revanche, la satire sociale, qui faisait le fond de l'oeuvre, n'a pas pris une ride en quinze ans : à la société hygiéniste, où règnent le bling-bling et la cruauté, où ceux qui sont censés apporter une aide se révèlent les plus impitoyables (l'amant loup-garou de Zoé se fait tuer par la SPA), vient s'opposer la sensualité heureuse de la vie en forêt, le groin dans l'humus. |