La coiffure est parfaite. Elle aurait bien imaginé une dernière fois passer sa main dans ses cheveux attachés somptueusement en un chignon. Mais ces choses ne se font pas. Non, elle conserve son sérieux habituel, dicté par les préceptes royaux. Et puis, ce flegme anglais... Elle observe ses boucles d'oreille à l'étrange silhouette amphibienne. Elle contemple sa couronne : en tête de proue, un noble rhinocéros s'y dresse... "Nice, nice, very nice", murmure-t-elle.
Dans les mains, le dernier album de Dan Mangan. J'imagine déjà les scenarii les plus farfelus à la vue cette drôle de reine trônant au beau milieu de la couverture bleue…
En écoutant Dan Mangan, aucune surprise, vous foulerez une terre musicale ferme et connue. De la mélancolie à l'allégresse, les compositions dessinent un relief, des monts, des voies empreintées maintes fois, je veux dire : le folk. "Robots" ou "Sold" en donnent un aperçu plus que convaincant. Souvent, les rythmes y sont entraînants : des caisses claires, des riffs secs de guitares... un dobro ? un ukulélé ? Dan Mangan y pose une voix grave et rauque, aux accents Vandaveer. Elle aussi apporte cette couleur si particulière au registre.
Très vite, une peur s'installe : celle qui fait tourner les talons, celle qui stoppe l'écoute, net. La peur de l'ennui, la peur de la répétition. Face à ces ritournelles qui font sonner le fer au bout de bottes pointues et entrevoir les chapeaux de cowboys, face à des rengaines "grand standard", comment Dan Mangan peut-il attiser les oreilles sceptiques ? Comment peut-il transformer le genre, si marqué par le folklore ?
Certes, les contours du genre sont manifestes. Ces détails nous révèlent le décor mais le fil de l'histoire connaît des imprévus et rebondissements.
Quelque chose d'étrange submerge souvent les chansons : une énergie qui fait monter la tension çà et là dans les morceaux. Parfois constante, parfois soudaine, Dan Mangan en joue. Il use de sa voix qui se fait plus intense comme sur "Road Regrets". Il s'entoure d'un ensemble, grandiloquent, qui surprend au détour d'un couplet ou d'un refrain. Une succession de trompettes et de violons donne de grands airs comme pour appuyer la colère apparente, à l'image de "Fair Verona" ou "Et les mots croisés".
Quelque chose de singulier risque à l'expérimentation. Dans "Fair Verona" ou "Tina's Glorious Comeback", des sons étranges se font entendre. Et on découvre ces jeux de silences, cette recherche de notes vulnérables, cette délicatesse des violons, ces chuchotements de tambours... On a alors l'impression de toucher à la substantifique moelle de la musique de Dan Mangan, sa fragilité et sa sensibilité. "You Silly Git" interpelle par son esthétisme : cette entrée sur la pointe des pieds de violon et violoncelle, cette délicatesse des cordes pincées.
Quelque chose de surprenant se dévoile à la lecture des textes. Sous la plume, des thèmes personnels, des thèmes de la vie, mais surtout, résolument mélancoliques. Alors que "Robots" invite à aimer les robots, eux aussi. "Sold" décrit un personnage, peut-être un fou, qui veut résolument en finir. L’absurdité profonde de la société, c'est ce que dénonce Dan Mangan.
Alors, malgré ce registre si affiché, qui pourrait paraître rébarbatif, Dan Mangan colore ses morceaux de ces petits quelque choses faussement folk. Ces touches imperceptibles révèlent un étonnant contraste. Une reine d'Angleterre, un dentiste chinois, un poivrot, et si le point commun de tout ça était cette diversité éclectique qui compose une même machine, à l'image du poème de Vonnegut, Nice, Nice, Very Nice ? |