C'est particulièrement clair en ces temps de crise : il y a lieu de se méfier de l'inflation, et ceci en tout domaine – y compris celui de la musique, où l'on a déjà vu artistes, fans ou producteurs se rendre coupables d'exagérations navrantes, confondant génie et mégalomanie, intérêt et avidité, perdant la raison en même temps que le sens des justes proportions, en une fuite en avant fascinée par la logique du toujours plus (grand / rapide / bruyant / agressif / dépouillé...).
Les médias spécialisés, auxquels ma plume n'a guère le choix que d'appartenir, sont eux-mêmes souvent coupables de ce péché d'orgeuil, se livrant sans vergogne à une inflation langagière qui en ferait perdre son latin à Marc-Aurèle, adepte d'un stoïcisme soucieux de la mesure juste.
Disons-le immédiatement : le disque d'Auryn, ce Winter Hopes qu'il aura fallu plusieurs saisons pour approcher, n'est pas superbe ni grandiose ni magistral. Il est beau et sympathique, ce qui, une fois ramené les termes à leur signification réelle, est déjà fort réussi.
On voudra nous expliquer que la jeune artiste Belge est pourvue d'une voix surréelle, fantastique, des plus envoûtantes – elle a, de fait, une jolie voix. On insistera sur son univers particulièrement aérien, personnel, fragile, féérique – les arrangements sont effectivement assez légers et servent plutôt bien les lentes ballades mélancoliques qui font l'essentiel des compositions.
On n'aura surtout pas la sottise déplacée de décrire Auryn comme une jeune surdouée, un espoir fou pour l'avenir de la musique. Mais l'on sera volontiers curieux après ce premier album d'écouter les suivants, que l'on espère plus aventureux. Car s'il est un travers dans lequel Auryn, elle, ne tombe pas, c'est celui de l'ambition dévorante, d'une inventivité dégénérée en folie expérimentative. Sa musique est sage et belle, ce qui est bien suffisant pour faire un album joli ; mais la dernière partie de l'album, sans conteste la meilleure, laisse entrevoir une autre dimension des compositions de la jeune chanteuse, qui accepte, encore timidement, de sortir de sa retenue et de son application pour déborder un peu d'elle-même. C'est plutôt réussi sur "Jasmin d'hiver", où la fragilité semble plus authentique, sur "A neverending story", où Auryn, accompagnée par Saule (souvenez-vous : monsieur "je n'ai personne où aller"), se découvre soudain un regain d'énergie appréciable, quoique le final en soit un peu abrupt.
Moralité : il y a des trucs pas mal dans ce disque, tout bien pesé. |