Depuis quelques mois, je remarque qu’au cours de mes très régulières visites des rayons BD, je suis irrépressiblement attirée par des œuvres québécoises. Etrange, non ? Est-ce un pur hasard ou les conséquences d’une sérieuse carence en sirop d’érable ? Ou plus simplement qu’il a fallu attendre 2011 pour que nous puissions bénéficier d’une large diffusion des œuvres de nos lointains cousins québécois ? Enfilez vos parkas et vos moufles, direction le pays des caribous et de la BD indépendante…
Il y a encore quelques temps, pour moi la BD québécoise se résumait à un seul nom : Julie Doucet. D’office, elle plaçait la barre très haute ! Publiée en France par l’Association à la fin des années 1990, Julie Doucet a rapidement imposé son style. Sur un plan esthétique, le graphisme se caractérise par un noir et blanc très contrasté jouant habilement sur les ombres un peu à la manière d’un Charles Burns. Quant à ses personnages, ils semblent être faits de caoutchouc ! On se retrouve dans un univers mi-gore mi-cartoon. Certes, on flippe un peu mais on se marre aussi beaucoup parce que dans l’esprit Julie Doucet, c’est du crado-punk régressif avec une touche de poésie et d’onirisme.
L’auteur se raconte aussi beaucoup dans ses strips et étonnament, malgré cet univers un peu étrange et déconcertant, on se surprend à s’émouvoir pour ce personnage qui n’hésite pas à se mettre à nu (dans tous les sens du terme d’ailleurs). Alors pour les amateurs de bande-dessinée un peu trashouille, je conseille Ciboire de Criss ! (L'Association, 1996) regroupant plusieurs épisodes de Dirty Plotte pour les esprits plus psyché et adeptes de psychotropes, je conseillerai Monkey and the Living Dead (L'Association, 1999) et enfin pour ceux qui veulent commencer en douceur, Changements d’adresses (L'Association, 1998) me semble tout à fait adapté.
Puis quelques années plus tard, j’ai découvert un peu par hasard dans ma médiathèque préférée le grand frère sage de Julie Doucet au nom pas franchement québécois : Michel Rabagliati. Cet artiste montréalais est un peu le reflet inversé de son acolyte féminin. Tout d’abord face au style chaotique et chargé de celle-ci, lui adopte la ligne claire. Puis ses récits posés s’opposent à la canaillerie des histoires racontées par la Miss.
L’œuvre de Rabagliati n’est pas que, mais c’est quand même et surtout la série des Paul : Paul à la pêche (Les Editions de la Pastèque, octobre 2006), Paul en appartement (Les Editions de la Pastèque, mai 2004), Paul à Québec (Les Editions de la Pastèque, mars 2010)... oui, c’est un peu comme les Martine. Au cours des différents épisodes, nous suivons les différentes étapes de la vie de Paul : un grand échalas tranquille et québécois jusqu’au bout des ongles dans lequel on reconnaît très rapidement l’auteur. La lecture est agréable et on tombe vite sous le charme de ces récits souvent teintés de nostalgie. Sous la mine épurée de l’auteur, le Québec des années 1960 reprend vie, et il endosse sans doute le second rôle à toutes les étapes de sa vie.
Rabagliati a cette capacité que d’autres grands narrateurs comme Jiro Taniguchi ont, celle de s’attacher aux petites choses de la vie, celles que finalement nous partageons tous, que nous avons tous ressenti au cours de notre vie. Il titille ainsi très habilement nos émotions. Puis aussi Michel raconte Paul avec humour et pour nous français, la découverte d’expressions québécoises tout à fait truculentes n’enlève rien à notre plaisir.
Entre ces deux auteurs aux antipodes l’un de l’autre, une nouvelle génération d’auteurs a vu le jour sur nos rayons et nous offrent de belles choses à lire et à regarder. Le plus illustre d’entre eux est certainement Jimmy Beaulieu. J’ai découvert cet auteur avec Le Moral des troupes (Mécanique Générale, janvier 2005) qui regroupe plusieurs histoires autobiographiques où l’auteur se dévoile avec pudeur. On découvre ainsi ses goûts musicaux déterminés par son humeur du moment, sa nostalgie pour la ville de Québec plus sereine que Montréal, sa vie en famille… Simplicité et franchise sont les maîtres mots de ses récits. Puis son dessin noir et blanc aux traits apparents nerveux renforce l’intensité de ses récits.
Actuellement en magasin, vous trouverez certainement plus facilement ses derniers ouvrages : A la faveur de la nuit (Les Impressions nouvelles, octobre 2010) et Comédie sentimentale pornographique (Delcourt, janvier 2011). Son dessin dynamique sert ici à merveille deux histoires érotico-coquines. Si dans le premier on est dans la fiction pure en épiant ces deux jeunes femmes court-vêtues qui partagent des histoires aussi croustillantes qu’intrigantes, dans le second on revient dans la réalité en découvrant ce cinéaste qui rachète un vieil hôtel au fin fond du Canada qui deviendra très vite pour lui et sa compagne le terrain de jeux de leurs fantasmes érotiques.
Pour éviter toute déception des amateurs de pornographie, je préfère vous prévenir tout de suite : nous ne sommes pas chez Manara. L’auteur nous invite plutôt à se balader dans un univers onirique extrêmement sensuel. Je vous conseille très chaudement les œuvres de Jimmy Beaulieu pour vos très prochaines longues soirées d’hiver.
Justine Iris (Les Editions de la Pastèque, février 2011)
Récemment, j’ai également découvert Iris avec son one-shot Justine. Justine, c’est l’histoire d’une jeune fille fraichement sortie de l’adolescence qui emménage dans une ville où elle ne connaît personne. Effectivement, le speech est un peu léger mais quand on découvre son épouvantable colloc obèse et handicapée qui se prostitue en secret, son lieu de travail "Les fils du King", une étrange salle de sport où gérants et usagers s’essaient de façon plus ou moins réussi au look du King, on comprend très vite que l’univers d’Iris est fantasque, décalé et plein d’humour.
Elle peut se permettre ainsi à mettre en scène sans apitoiement les cruautés de la vie auxquelles sont confrontés ses personnages. Finalement, on retrouve un peu de Julie Doucet dans cet ouvrage. Enfin, si vous voulez du plus frais encore, cette jeune auteure officie avec Zviane dans la série L’Ostie de chat mais pour le coup, je ne peux rien vous en dire parce que tout simplement je ne l’ai pas encore lu.
Valentin Pascal Girard, Yves Pelletier (Les Editions de la Pastèque, février 2011)
D’ailleurs en parlant de chat, je vous conseillerai également la lecture de Valentin de Pascal Girard et Yves Pelletier. Valentin est l’histoire toute simple d’une jeune femme qui hérite d’une copine, qui a décidé de rejoindre son copain expatrié à Manille, d’un matou prénommé Valentin. Jusqu’ici, rien d’exceptionnel si ce n’est que son compagnon est violemment allergique au félin… Oui forcément, la cohabitation ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Le talent des auteurs est d’utiliser le prétexte du matou pour nous brosser un tableau juste et sensible du couple et de l’amour au quotidien et ce, sans oublier d’insuffler un suspense insoutenable : que va devenir Valentin ?
Scott Pilgrim Brian Lee O'Maley (Editions Milady, mars 2010)
Enfin, je ne saurai finir cet article en faisant une entorse à nos amis québécois et en vous proposant d’engloutir fissa les 6 tomes de Scott Pilgrim du Canadien angloghone Brian Lee O'Maley !
Scott Pilgrim, un geek de 23 ans, glandeur hors norme, tombe éperdument amoureux de Ramona et décide de tout tenter pour la conquérir et ce, quitte à devoir combattre ses sept ex-copains démoniaques. Certes, l’auteur est originaire de Toronto et le scénario est franchement débile mais Scott Pilgrim a je-ne-sais-quoi de jubilatoire et la transgression est succulente. Pour ma défense, j’ai noté que l’ex-petite amie du héros se la pète parce qu’elle habite Montréal… Une ville d’artistes selon elle et ce n’est pas mon article qui viendra la contredire. |