Comédie tragi-comique de Mohamed Kacimi, mise en scène de Marjorie Nakache, avec Yacine Belhousse, Marie Chavelet, Frédéric Hulné, Xavier Marcheschi et Sandrine Righeschi.
Traiter du racisme ordinaire relève de l'évidence dans un théâtre de proximité consacré à la création qui puise dans la réalité contemporaine et la vie, porteuse d'histoires, des hommes de la cité dans laquelle il est implanté.
Marjorie Nakache, co-fondatrice et directrice artistique du Studio Théâtre de Stains, au coeur du fameux département du 9-3 sur lequel se focalise très vite les projecteurs tant des médias que des politiques de tous bords, a demandé à l'écrivain qui y est en résidence, le romancier et dramaturge Mohamed Kacimi, un texte théâtral ayant pour thème "l’étranger, l’autre" pour une "chronique d’un racisme ordinaire".
La racisme ordinaire fait partie des sujets à l'actualité récurrente et sensible - les sujets "qui fâchent" - d'un maniement délicat et force est de constater que, sur cette thématique, si "Babylon City" esquive habilement les deux écueils délétères que sont la diatribe politique et le politiquement correct en déviant de la cible pour traiter du repli identitaire des français et en procédant sous une focale réductrice.
En effet, Mohamed Kacimi a écrit une série de dramuscules pour, indique-t-il dans sa note d'intention, non pas faire un pamphlet antiraciste mais "raconter le quotidien, parfois risible, de femmes et d’hommes qui à force d’avoir peur du monde, de l’autre, se barricadent, s’enferment à double tour et finissent par se perdre de vue eux-mêmes".
Et donc, à travers une suite de scènes du quotidien prises sur le vif, il trace le portrait incisif de personnages "bruts de décoffrage" qui ont pour dénominateurs communs essentiels outre d'être des handicapés de la vie en communauté, d'être des français à la peau blanche, les fameux français dits "de souche", et surtout des imbéciles. Car le fond de l'affaire c'est la connerie humaine dont le racisme constitue un des moyens d'expression.
Pour mettre en scène cette fresque séquentielle qui puise dans différents registres dramatiques, du comique (les vacances à Ouaga) au tragique (le retour du mariage à Goussainville) en passant par la satire (le commissariat) et l'absurde quasi existentiel (l'homme dont la porte a été forcé), Marjorie Nakache n'a pas opté pour un traitement docu-fictionnel mais pour une vraie théâtralisation en abondant dans la veine de la tragi-comédie pamphlétaire à l'italienne des années 70.
Se référant d'ailleurs explicitement aux "Affreux, sales et méchants" d'Ettore Scola, elle privilégie les deux véhicules judicieux pour les sujets graves que sont le comique et l'humour, et dirige avec fluidité et rigueur un quintet de comédiens "au taquet" qui apportent une incontestable valeur ajoutée au texte.
Dans un astucieux et approprié décor pop-up mobile avec manipulations à vue de Jean-Michel Adam qui se déploie avec fluidité au rythme d'injonctions musicales de Patricia Delasalle qui tiennent à la fois du jingle et de la boîte à musique, Marie Chavelet, Sandrine Righeschi, Frédéric Hulné, Xavier Marcheschi et Yacine Belhousse jouent les frégoli avec vélocité et endossent, chacun avec autant de talent et de crédibilité, de sacrés costumes taillés dans la masse.
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