Comédie dramatique de Michel Tremblay, mise en scène de Christian Bordeleau, avec Cécile Magnet, Yves Collignon, Sophie Parel et Marie Mainchin.
Au centre sur la table de la cuisine familiale, Carmen, chanteuse western dans les bars, après des années d’absence revient voir sa sœur Manon, dévote et demeurée dans l’ombre étouffante de sa mère depuis la mort de celle-ci pour tenter de la convaincre de prendre enfin son indépendance.
De chaque côté en parallèle, se rejouent les échanges entre Marie-Lou et Léopold, les parents, qui ne communiquent qu’en reproches et invectives.
On rentre immédiatement dans la pièce de Michel Tremblay tant le texte est direct, dense, percutant. Les mots claquent et mettent à jour peu à peu des années d’incompréhension et de souffrance.
Dans la belle langue de l’auteur québécois, "A toi pour toujours, ta Marie-Lou" parle du poids du passé et des choix qu’on fait, de la difficulté d’aimer et de la solitude. Dans cette pièce originale écrite en 1971, les non-dits sont au moins aussi importants que les mots qui sont prononcés et tout est lourd de sens.
Léopold et Marie-Lou sont les personnages-clé de ce huis-clos familial qui mélange les temporalités et use du flash-back aussi pour les deux soeurs. Les époux trouvent dans l’humour et leurs réprimandes mutuelles une échappatoire pour crier leurs frustrations et l’amour au fond, qui peine à trouver sa place. Malgré la détresse de chacun, on sent une immense envie chez eux d’aller l’un vers l’autre.
Le texte cruel et teinté d’amertume de Michel Tremblay est une sublime partition pour les deux Stradivarius que sont Cécile Magnet et Yves Collignon. Elle, a la douleur de cette femme en lambeaux dissimulée derrière une carapace et une répartie caustique. Lui, tantôt lâche et abject, tantôt touchant ou pathétique donne à son ouvrier alcoolique la dimension d’un personnage de tragédie antique. Les deux sont extraordinaires.
Manon est repliée dans sa solitude, presque autiste. On sent ce qu’elle a pu endurer ; la prestation de Marie Mainchin est forte et éloquente. Face à elle, Sophie Parel en Carmen (la seule qui, en s’ouvrant au monde par le biais de la chanson, s’en sortira), dont la solidité et la conviction se fissurent peu à peu jusqu’à un sommet d’émotion, est également bouleversante.
Ce quatuor de comédiens d’exception, brillamment mis en valeur par Christian Bordeleau, spécialiste de Michel Tremblay en France, nous tient de la première à la dernière minute avec une tension constante et une intensité phénoménale. Sans caricature, ils restituent la spécificité de la petite musique propre à l’auteur québécois.
Un remarquable moment de théâtre qu’il ne faut en aucun cas rater. |