Emmaüs International a 40 ans. A cette occasion, le jeune photographe Sébastien Gracco de Lay édite un beau livre de photos, souvenirs de trois ans de voyage à travers le monde, à la rencontre des communautés. Hommage au mouvement, à ses activités humanistes et à son père, le regretté Abbé Pierre, Planète-Emmaüs se fait aussi reportage, témoignage et magnifique œuvre d'images. A découvrir dans toutes les bonnes librairies à partir du 4 novembre.
Pouvez-vous revenir sur l'histoire du mouvement ?
Sébastien Gracco de Lay : Le mouvement Emmaüs a été créé par l'Abbé Pierre en 1949. Le mouvement au niveau international est né suite au naufrage dont fut victime l'Abbé Pierre en 1963. Il s'est alors aperçu qu'il était l'unique lien entre les différentes communautés qui existaient déjà à travers le monde et que le mouvement reposait trop sur lui. Les responsables d'Emmaüs et lui-même ont donc décidé de créer Emmaüs International, structure mieux organisée qui puisse être gérée sans lui. C'était en 1971.
Comment a démarré l'aventure Planète Emmaüs ?
Sébastien Gracco de Lay : Je travaillais pour Vivendi depuis 7 ans, que j'ai quitté pour faire un tour du monde. J'ai proposé à Emmaüs International de faire des reportages sur leurs communautés à travers le monde, bénévolement, pour leur créer une banque d'image : pour leur com interne, illustrer leurs articles, leurs newsletters. En échange, je souhaitais être hébergé, pas tellement pour le côté financier mais pour partager vraiment leur quotidien. Ils ont tout de suite accepté. On a donc organisé les premiers voyages en Amérique latine. Pendant deux ans, je faisais des aller-retour pour faire l'editing des photos. Financièrement je me suis rapidement retrouvé à sec. Il a fallu taper dans les réserves, travailler, notamment pour Yann Arthus-Bertrand, pour professionnaliser aussi mon reportage.
Pour la première édition de 3P (Photographes pour un Projet Photographique, fondée par Yann Arthus-Bertrand en 2003, NDLR), j'ai participé à la vente de tirages au profit de photographes qui mènent des reportages humanistes et peinent à être financés. J'ai aussi fait divers petits boulots. Le tout a duré trois ans : deux ans de voyage à rencontrer les compagnons, bénévoles, salariés et un an de va-et-vient. C'est le projet d'une vie ! Ce sont des locaux qu'on rencontre, des gens qui vivent dans des bidonvilles, dans des quartiers chauds, dans les périphéries des grandes villes, dans la brousse en Afrique avec les agriculteurs, dans les rizières en Asie, dans les piscicultures à Madagascar.
Et l'idée du livre est venue comment ?
Sébastien Gracco de Lay : Elle est venue des compagnons. Elle trottait un peu mais je voulais que ce soit un mouvement général, qui ne serait pas venu que de moi. Ensuite ça a mis du temps parce que j'étais financièrement très mal.
Quand avez-vous fini le tour du monde ?
Sébastien Gracco de Lay : Je suis revenu en 2006. Pendant un an j'ai continué l'editing des photos en étant serveur. C'est un métier à part entière !
Vous aviez pris des cours ?
Sébastien Gracco de Lay : J'ai suivi des formations photo aux Gobelins mais l'editing je n'y connaissais rien. J'ai eu beaucoup de mal à prendre le recul nécessaire à la sélection des photos, pour moi elles avaient toutes un intérêt. Je me suis fait aider. Ensuite j'ai voulu faire le bouquin moi-même et à un moment donné c'est devenu compliqué. Je ne pouvais plus suivre financièrement donc j'ai arrêté. Mon deuxième projet était de devenir steward, j'ai donc suivi la formation. Et plus tard, par hasard, lors d'un vernissage, j'ai rencontré Jean di Sciullo, l'éditeur de Democratic Books, qui a cru en mon projet. Cela s'est très bien passé entre nous, il y a eu quelque chose, un feeling. D'autant plus que Democratic Books est un symbole, ce sont des beaux livres à des prix démocratiques, ça colle parfaitement à mon projet. On s'apprête à signer le BAT.
Comment avez-vous communiqué ?
Sébastien Gracco de Lay : On a fait un dossier de souscription qu'on a envoyé à des entreprises, particuliers, partenaires. Les livres de photos se vendent peu, sur des sujets humanistes encore moins... Tout le monde connaît Emmaüs, mais on avait quand même envie d'atteindre un seuil de rentabilité. C'est une maison d'édition plutôt jeune qui prend des risques donc on a essayé de les limiter au maximum. Emmaüs a fait des envois partout dans le monde. Il fallait qu'on ait une base sûre. Le plus dur ce sont les retours (les invendus, NDLR) qui coûtent très cher à l'éditeur. Avec le seuil de rentabilité qu'on a atteint avec les 1500 exemplaires en prévente, on améliore la qualité du livre. L'éditeur ne gagne pas d'argent, c'est juste pour la bonne cause.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser à Emmaüs ?
Sébastien Gracco de Lay : Quand j'étais très jeune, j'avais une amie dont le père travaillait chez Emmaüs. J'ai été amené à visiter des communautés et à entendre parler des groupes. J'ai bien aimé le concept de l'Abbé Pierre qui consiste à travailler avec les pauvres pour les pauvres : on ramasse des objets qui ne sont plus utilisés, on les répare, on fait participer ces marginaux et par la même occasion, on les aide à se reconstruire, à trouver un toit, un travail. Ils ont des formations en menuiserie, en électricité. Et au-delà de retrouver une vie, ils retrouvent une dignité car avec les bénéfices de la revente, l'association mène des actions sociales, solidaires. Ils se sentaient plus bas que terre et se retrouvent à aider les autres. J'ai été séduit par ce cercle vertueux.
Vous avez rencontré l'Abbé Pierre ?
Sébastien Gracco de Lay : En 2004. C'était un moment unique. C'est quelqu'un qui a une certaine aura et qui est malgré tout très simple. Je revenais de mes 6 mois en Amérique Latine. On a partagé notre enthousiasme pour les voyages et notre passion commune pour la photo. Il m'a encouragé à continuer. Il avait la même vision que moi : je voulais faire des photos haut en couleur et pas du noir et blanc, pas du misérabilisme mais plutôt des photos optimistes et faire partager les rêves et les espoirs de ces compagnons autour du monde qui, hier marginalisés, aident aujourd'hui les plus démunis à s'en sortir. C'était un grand moment, qui restera gravé.
Il y a du texte ou seulement des photos ?
Sébastien Gracco de Lay : L'Abbé Pierre m'avait validé la possibilité d'écrire une préface mais il nous a quittés avant... Sur cette idée, avec Emmaüs International qui est son légataire testamentaire, on a décidé de récupérer un de ses textes inédits qui parle des droits de l'homme et qu'on a donc mis en préface. Il y a un mot de l'auteur (moi-même !), qui présente le projet. Un déroulé de photos légendées qui présentent les activités du mouvement, principalement en Afrique et en Asie. On a interviewé un compagnon d'une communauté au Brésil qui, grâce à des dons de palettes en bois, fabrique des meubles. Il a un parcours assez atypique, extraordinaire même. On a un texte magnifique du président d'Emmaüs International, ainsi que le manifeste universel qui présente les 8 grandes lignes que doivent suivre les groupes Emmaüs qui veulent faire partie du mouvement.
Avez-vous été surpris par comment ça se passe réellement sur le terrain ?
Sébastien Gracco de Lay : C'est sur le terrain qu'on réalise tout le travail et le don de soi de ces gens ! J'ai notamment rencontré un avocat au Brésil qui a tout plaqué pour s'occuper des pauvres des favelas et défendre leurs droits. Idem pour celui qui était ingénieur et qui fait des meubles à partir de palettes. Les compagnons sont des anciens drogués, anciens alcooliques, qui reviennent de loin.
Et est-ce qu'ils s'en sortent ?
Sébastien Gracco de Lay : Oui. Je n'ai pas fait beaucoup de communautés en France mais j'en ai entendu parler. Il y en a qui refusent d'être dans des logements, d'autres qui ont envie de s'en sortir et qui profitent de cette opportunité pour se refaire. Ils sont nourris, logés, touchent un salaire, une retraite. Ils ont la possibilité de bouger de communauté, de rencontrer d'autres gens, d'échanger leurs idées, leurs méthodes de travail. En tout cas, je n'ai eu aucune mauvaise surprise ! Aucun problème, même en tant que voyageur/photographe.
Combien de temps passiez-vous dans une communauté ?
Sébastien Gracco de Lay : Environ un mois par pays, donc environ deux semaines par communauté. On a sélectionné une soixantaine de communautés sur les plus de 300 qui existent dans le monde. Je commençais toujours par les ramassages, pour les rencontrer, travailler avec eux, commencer les photos. Je voulais montrer le fruit de leur travail et de leur remise sur pied.
Donc maintenant vous êtes steward ? Photographe ?
Sébastien Gracco de Lay : Oui. Mais j'ai dû revendre mon appareil pendant les coups durs. Donc oui steward dans une petite compagnie qui propose des contrats saisonniers. Le reste du temps je suis aussi maître d'hôtel pour des traiteurs. Et j'espère, peut-être grâce à ce livre, faire de la photo plus professionnellement. J'ai encore d'autres projets autour du livre, je cherche notamment des partenaires pour financer une expo itinérante et faire découvrir Emmaüs aux expatriés. L'idée étant d'essayer de développer un cercle vertueux entre eux, qui font généralement partie de multinationales prospères, et les communautés de leurs pays qui sont dans le besoin... Toujours pour aider le mouvement et ses bénéficiaires ! |