Ecrit en 2009, et faisant chronologiquement suite à "Hors d'atteinte" (2007), le dernier épisode en date de la série "Grant County" et à "Irréparable" (2008) de la série "Will Trent/Atlanta", "Genesis" constitue le premier volume d'une 3ème série syncrétique, "Georgia", dans laquelle Karin Slaughter reprend les personnages des deux premières séries par le procédé des vies croisées.
Les fans de cet auteur américain représentant du "style gothique sudiste" y retrouveront sa marque de fabrique qui est le thriller haletant mâtiné de roman psychologique avec de larges développements consacrés à la vie de ses personnages récurrents.
Avec "Genesis", même entrée en matière (sic) brutale qui place immédiatement le lecteur dans une atmosphère d'abomination d'autant plus délétère qu'il ne s'agit pas du comportement déviant induit par les méfaits de la société mais du mal à l'état pur tel qu'il résulte du dérèglement de l'esprit, celui du serial killer, qui n'est pas l'apanage de certaines classes sociales.
Un couple de retraités, rentrant en voiture d'une soirée chez leur fils, percute un étrange animal qui a surgi des bois. Mais ce n'est pas un animal mais une femme nue au corps atrocement mutilé et torturé. Après l'arrivée des secours et un bref passage à l'hôpital, ils repartent allègrement vers leur petit train-train. Il est vrai que les petits retraités américains ont la peau dure.
En revanche, les policiers chargés de l'enquête et le médecin qui a réceptionné la victime sont en état de choc après le recensement des actes de barbarie qui ont été commis sur la malheureuse qui, bien que dans le coma, témoigne d'une vitalité exceptionnelle qui en fait une véritable survivante, la découverte concomitante du cadavre d'une deuxième victime quasiment jumelle et la survenance de la disparition de deux autres jeunes femmes au profil similaire.
Pendant près de la moitié du roman, l'enquête, qui comme toujours se déroule en 7 jours chrono, avance à pas de moucheron, sans que cependant le lecteur n'éprouve d'ennui ou d'impatience, et pas seulement en raison de l'absence de tout indice laissé par le bourreau-meurtrier et de la "guerre des polices" induite par le système fédéral.
En effet, Karin Slaughter procède très rapidement à la translation vers le roman psychologique qui, selon son habitude, coexiste avec le thriller. Car les acteurs institutionnels qui interviennent dans ses enquêtes policières ne sont jamais ni des héros ni des surhommes capables de laisser leur vie au vestiaire.
Sans verser dans la tendance inverse, ce ne sont pas davantage des loosers. Tout simplement des hommes et des femmes ordinaires pour qui la vie n'est pas un long fleuve tranquille et que leur choix, sinon de vie, du moins de métier ne leur permet pas de se détacher de l'humain et remet parfois en question leurs certitudes.
Si sa plume est toujours efficace dans le registre de l'horreur, de l'abomination, de l'indicible, elle se montre en l'occurrence particulièrement sensible pour aborder les brèches émotionnelles et les états d'âme des trois protagonistes principaux.
A savoir le binôme dont les méthodes sont radicalement opposées, elle exubérante toute impétuosité, lui introverti placide, et l'entente à peine cordiale (cf. "Irréparable"), composé de l'agent du Bureau d'investigation de Georgie Will Trent, qui fut un enfant abandonné et malheureux, pilier de l'orphelinat dont il est sorti illettré et dyslexique, mu par une inéluctable empathie pour les victimes et pour qui la résilience n'a pas encore commencé, et de la détective Faith Mitchell, qui se retrouve à 34 ans, et pour la 2ème fois, enceinte d'un enfant sans père, alors que son aîné est à l'université.
Le troisième personnage est le médecin-légiste Sara Linton qui, au début de "Hors d'atteinte", était une femme privilégiée à qui tout avait toujours souri, même la nature en la faisant belle, et dont la vie va basculer avec l'assassinat de son mari, le chef de la police de Grant County. Après une longue dépression, elle reprend du service en tant que médecin pour tenter de donner un sens à sa vie et peut-être de se reconstruire.
Karin Slaughter tisse avec beaucoup de sensibilité et de crédibilité ces vies douloureuses et leur implication au quotidien dans des événements qui ne sont pas neutres et qui les marquent, et souvent de manière insciente, à vif.
Ensuite, l'enquête se dénoue rapidement, non sans de nouvelles plongées dans la terreur mais sans happy end hollywoodien même si le chemin pour rude qu'il soit les a fait avancer. Demain est un autre jour... et le lecteur toujours sous addiction.
|