Comédie dramatique de Jean Genet, mise en scène de Jacques Vincey, avec Hélène Alexandridis, Marilù Marini, Myrto Procopiou et Vanasay Khamphommala.
Transformée en un conte profondément cruel, la pièce de Jean Genet retrouve une nouvelle fois l’Athénée, lieu où elle fut créée en 1947. En soixante-cinq ans, le sort des "Bonnes" dans le Théâtre où résidait Louis Jouvet a bien changé.
Œuvre considérée à l’origine comme un texte provocateur, et jouée dans un climat fortement hostile, "Les bonnes" est depuis devenue un classique incontournable.
La version mise en scène aujourd’hui par Jacques Vincey a l’avantage de réconcilier ceux qui n’aiment pas que Genet soit assagi et ceux qui en font désormais un auteur du répertoire. Tout se joue ici dans un prologue où l’acteur Vanasay Khamphommala, "habillé" dans le plus simple appareil, vient opportunément interpréter un large extrait d’un texte de Jean Genet intitulé "Comment jouer les Bonnes".
Les spectateurs retiendront que va se dérouler sous leurs yeux un conte et qu’"afin qu’on puisse y croire il faut que les actrices ne jouent pas selon un mode réaliste". Claire et Solange ne sont donc pas la reprise pure et simple des sœurs Papin qui assassinèrent leurs patrons dans les années trente. Genet n’a jamais voulu coller au fait-divers resté dans la mémoire collective comme le "fait-divers social" par excellence.
Dans sa pièce, il y a bien effet de domination de "Madame" sur ses bonnes, mais celles-ci jouent et surjouent la servilité et n’en restent pas, ou pas seulement, au niveau des rapports de classe. Preuve en est leur manière de parler : une belle langue qui n’a rien à voir avec la manière supposée de s’exprimer des domestiques.
Et on louera d’emblée la limpidité du travail de Jacques Vincey, qui respecte et valorise le texte, et l’interprétation de ses trois actrices qui se délectent de tous ses mots de Genet. Car entendre "Les bonnes", c’est aussi découvrir que leur auteur est un écrivain majeur, un styliste et un lyrique, et qu’il est clair qu’il ne faut pas l’interpréter trivialement.
On appréciera aussi que Jacques Vincey, contrairement à d’autres metteurs en scène, n’ait pas conçu le duo des bonnes comme un bloc monolithique. Solange (Hélène Alexandridis) chante et se drape dans la dignité, Claire (Myrto Procopiou) est plus clownesque, plus virulente.
Face à elles, Marilu Marini joue "Madame" comme si elle était une ogresse, un vampire, tirant encore un peu plus la pièce du côté d’un conte de fées dont la résolution ne saurait être réaliste.
C’est donc à une soirée onirique que Jacques Vincey convie ses spectateurs avec une superbe utilisation du plateau à étages en noir et blanc conçu par Pierre-André Weitz, parfois souligné par des néons éclairant quelques éléments blancs, comme la fameuse robe de "Madame".
Les lumières subtilement manichéennes de Bertrand Killy, les rouges à lèvre vifs de Pierre-André Weitz et les touches musicales finement distillées par Alexandre Meyer et Frédéric Minière participent à la fête des sens que réussit cette version soignée et cohérente des "Bonnes". |