Spectacle jeune public écrit et mis en scène par Carole Thibaut interprété par Betty Bussmann, Astrid Cathala, Sophie Daull, Karen Ramage et Fanny Zeller.
Ceux qui suivent le travail engagé de Carole Thibaut, comédienne, metteur en scène et auteur dramatique, se doutent que, si elle prend la plume pour écrire un spectacle pour enfants, ce n'est pas pour ajouter à la liste des divertissements lénifiants pour public captif.
Elle s'est emparée du sempiternel épilogue des contes de fées, qui veut que les héros se marient, vivent heureux et aient beaucoup d'enfants, comme nouvelle déclinaison de la réflexion menée sur l'oppression de l'enfant au sein de la cellule fondatrice qu'est la famille, et plus spécifiquement sur la petite fille ("Avec le couteau le pain") et sur le déterminisme social relatif au féminin ("Fantaisies").
Issu d'un travail de relecture et d''écriture puisant dans le thésaurus des contes et les essais y afférant et enrichi du travail au plateau avec les comédiennes et des échanges avec des groupes d’enfants et d’adolescents, "Les petites empêchées - Histoires de princesses", spectacle donc plus spécialement dédié au jeune public, propose une histoire, riche en personnages syncrétiques et en thématiques liées, propice à une lecture à plusieurs niveaux selon l'âge, la sensibilité et le discernement des spectateurs
Il était une fois deux jeunes princesses vivant sous les jupes de leur mère, la reine terrible d'un royaume en déroute depuis la mort du roi, sous le jupon baleine de sa somptueuse robe à la française qui, pour protecteur qu'il soit, n'en constituait pas moins une cage dorée dont elles ne doivent sortir que pour satisfaire à l'épilogue du conte de fées : ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Mais la cadette, déjà amoureuse d'un berger, et l'aînée, qui veut découvrir le monde, conspirent une mutinerie qui n'attend qu'une opportunité qui se présente avec le retour de leur marraine, une baroudeuse en dreadlocks et rangers, qui les encourage à ne pas imiter la passive belle au bois dormant qui vocalise entre deux sommeils et qui attendra encore longtemps son prince charmant.
Avec cette intrigue, Carole Thibaut aborde de nombreux thèmes contemporains de réflexion abordés par le prisme du féminin tels la question d'identité, le paradoxe du pouvoir matriarcal qui s'avère l'organe majeur de la transmission de l'oppression, la sexuation des contes, le conte comme le jouet étant un objet - et un instrument - éducatif et normatif qui soumet l'enfant à un déterminisme radical notamment sexué : à toi le monde, mon fils, tu seras un homme et un héros mon fils, à toi l'univers domestique, ma fille, tu seras une épouse et une mère, et les secrets de famille.
La plume de Carole Thibaut est, une fois encore, inspirée, et radicale, quand elle dénonce les fléaux que sont l'ignorance et la naïveté et rappelle que la femme est la plus esclave des esclaves, dans un texte qui ne cède pas à la facilité même si les choses sont dites dans un langage approprié et accessible aux enfants.
La scénographie de Carole Thibaut et Patricia Labache et le très bel habillage de lumières créées par Didier Brun respectent avec intelligence les codes de la féérie et du merveilleux pour éviter le désuet compassé et le jeu de comédiennes se garde bien de verser dans le registre de l'enfantin.
Sur scène, aux côtés de Karen Ramage (la princesse cadette), Fanny Zeller (la princesse aînée) et Astrid Cathala (la belle au bois dormant), dominent la distribution Betty Bussmann, magnifique fée iconoclaste, pétroleuse et féministe, et Sophie Daull qui incarne, avec sa flamboyance baroque, une superbe reine de tragédie. |