L'amérique des ratés, des loosers, des zéros, des brisés, déshérités, oubliés oublieux, des espaces fantomatiques, délabrés, déserts d'isolement – d'isolement, car la solitude serait encore un mot vain. Tel est l'espace qu'explore Bertrand Boulbar.
Il avait déjà commencé à le faire avec Requiem pour un champion, son précédent album ; il pousse avec Motor Hotel plus loin encore toutes les logiques à l'oeuvre dans ce précédent opus : l'album n'est en fait que la moitié sonore du carnet d'un voyage tout à fait réel d'un mois et huit mille kilomètres à travers les Etats-Unis, d'est en ouest. L'autre moitié est constituée à la fois des photographies réalisées par Boulbar durant le voyage et des oeuvres graphiques réalisées en direct lors des concerts par Vincent Gravé à partir de ces photographies (Vincent Gravé qui avait justement déjà mis en BD Requiem pour un champion).
On respecte profondément la démarche, totale et d'un romantisme un peu archaïque, qui aurait gardé le sens du voyage. On imagine Bertrand Boulbar, un peu hagard et fumant trop, se donner corps et âme à son projet, jusqu'à prendre en lui la Grande Depression. L'anti Eddy-Mitchell, en quelque sorte, fasciné par la face cachée des U.S.A, qui n'aura pas emprunté la route soixante-six, préférant traverser le continent par ses contre-allées et voies secondaires.
Les douze titres de l'album ont ainsi été écrits (et, pour partie : enregistrés) dans les chambres miteuses d'hotels de bords de routes. Comme toujours chez Boulbar, le chant est un peu maniéré malgré son dépouillement et l'on risque fort, à la première écoute, de détester ne pas y retrouver sa nouvelle scène française. Une fois que l'on est dedans, elle est bonne, pourtant, juste à la bonne température : celle d'un whisky bukowskien, amer de trop d'humanisme pudique, bourru.
L'écriture pourtant sait rester étonnament naïve, simple, sans fioritures, pour livrer un regard crédible sur cette amérique incroyable – l'amérique des bords de routes, qui n'a plus même la force de lever le pouce pour supplier qu'on l'aide à suivre son propre rêve. |