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Miljenko Jergovic  (Editions Actes Sud)  février 2012

Depuis 2004, le journaliste et auteur de nouvelles, de poésie, d'essais et de théâtre croato-bosniaque Miljenko Jergovic a choisi le genre littéraire du roman pour aborder l'Histoire des Balkans qu'il explore depuis selon le même protocole narratif qui consiste en une fresque kaléidoscopique et concentrique, avec une chronique urbaine et une intrigue en fil rouge, qui déroule le fil du temps sur plusieurs décennies.

Après Dubrovnik et Sarajevo, la toile de fond est Zagreb avec une focale sur la Rue Gunduliceva où vivent, dans le même immeuble, deux familles, l'une croate, l'autre juive dont les histoires se déroulent en parallèle, se rejoint puis s'éloigne autour d'une petite fille Ruta Tannenbaum.

Le pays de Miljenko Jergovic, c'est la Croatie, que seuls les contemporains férus de géographie ou d'histoire identifiaient et localisaient avec certitude avant qu'il ne figure tristement à la une de l'actualité internationale dans les années 90 avec le tragique conflit ethnique serbo-croate révélé par l'éclatement de la Yougoslavie.

Avec "Ruta Tannenbaum", il propose un voyage dans l'Histoire moderne à partir du début du 20ème siècle pour évoquer les tensions nationalistes qui existaient dans le mille-feuille historique qu'étaient les Balkans, l'antisémitisme endémique en Europe centrale et la conspiration du silence qui a sévi dans son pays sur les exactions perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Car la Croatie, proclamée Etat de Croatie indépendante par la grâce du IIIème Reich portant au pouvoir les fameux "oustachis", séparatistes croates, anti-yougoslaves, antisémites et fascistes, fut un état génocidaire qui a pratiqué, avec la bénédiction de l'archevêque de Zagreb, une politique d’épuration ethnique massive à l’égard des Juifs, des Serbes et des Tziganes.

Et celle-ci a été, d'une part, "éclipsée" par celle perpétrée par les nazis, alors qu'ils faisaient fonctionner à plein régime les camps de concentration implantés sur son territoire et que le camp d'extermination de Jasenovac figure sur le podium des camps d'extermination avec Auschwitz et Treblinka, et, d'autre part, délibérément occultée par les autorités yougoslaves.

La chape de silence s'est également abattue sur le destin tragique de Lea Deutsch, jeune fille d'origine juive, qui a été "la Shirley Temple yougoslave", encensée, adulée et célébrée jusqu'à l'édiction des lois anti-juives, et est morte pendant son acheminement vers les camps avant d'être jetée dans les oubliettes de l'Histoire. Son destin a bouleversé Miljenko Jergovic qui revisite la rue où elle demeurait - " Lea Deutsch m'a laissé entrer dans sa rue. Ce livre est une petite pierre sur le seuil de sa maison, puisqu'elle n'a pas d'autre tombeau" - et inspiré sa transposition fictionnelle sous le nom de Ruta Tannenbaum.

Miljenko Jergovic n'est pas un historien mais un romancier, engagé idéologiquement dans l'humanisme, qui s'intéresse à l'Histoire avec une majuscule en ce qu'elle est l'Histoire des peuples et que cette dernière est composée des histoires des hommes qui constituent autant de morceaux d'un puzzle qu'il cherche à reconstituer. Histoires particulières qui illustrent le déterminisme auquel est soumis chaque individu, un déterminisme pluriel au demeurant puisqu'il est socio-culturel, confessionnel, ethnique et même historique et que chaque communauté n'est pas homogène.

Ainsi s'agissant de la communauté juive les personnages du mère et du grand-père maternel de la petite Ruta Tannenbaum en caractérisent les deux extrêmes.

Salomon Tannenbaum, le père, affublé d'un dicton ironique et sans appel, "celui a autant d'intelligence qu'il y a de safran dans la soupe du pauvre", est un juif honteux ("juif seulement par son nom, sinon goy, des plus anonymes, sans réputation ni pedigree, un bon à rien, incroyant et ignorant, l'un de ceux qu'on ne laisserait même pas entrer dans un temple, fût-ce la fin du monde, fût-il le dernier des Juifs vivants").

Le grand père, Abraham Singer, riche négociant de marchandises coloniales et usurier, représente l'archétype du juif poursuivi par l'antisémitisme comme crucificateur du Christ ("Chacun avait dans sa vie ce qu'il méritait et que pour le mal infligé à un peuple tout entier, il existait une punition décidée par ce même peuple, et que les juifs allaient souffrir pour tout ce qu'ils avaient fait depuis qu'ils avaient crucifié Jésus. Ils allaient souffrir parce qu'ils avaient pétri leurs pains azymes dans le sang des enfants croates égorgés, ils allaient souffrir parce qu'ils avaient plongé tant de gens dans la misère avec leurs banques...") et conspirateur de la finance juive (ceux qui "ont hypothéqué Zagreb et qui menacent à présent de faire passer la cathédrale, le derrière du cheval de la statue du ban Jelacic et même le décret de Bela IV sans oublier l'asphalte sur lequel marchent les citoyens de cette ville, aux mains des Rothschild et des Rockfeller").

Sans concession, Miljenko Jergovic passe à la moulinette toutes les communautés avec autant d'empathie que d'envolées polémiques : les habitants de Zagreb ("tous ces culs-terreux et ces serfs, ces chanoines, ces prêtres et ces dignitaires prébenbés, tous ces prolétaires et ces paysans qui, dans leur majorité, constituent notre Zagreb"), les Serbes ("il faut offrir aux Serbes des gorges à trancher") et les Croates ("Les Croates, c'est comme les vignes. Soit on les taille de temps à autre, soit ils se relâchent, se multiplient trop et dégénèrent, comme des pommiers sauvages. Après c'est trop tard, on ne peut plus rien en faire. Voilà pourquoi il faut les saigner de temps en temps, les dégrossir... C'est alors, mon frère, que les croates se mettent à pousser comme des champignons, tout le monde devient soudain oustachi, les prêtres commencent à les inciter à trancher les gorges serbes et juives et à arrêter de blablater sur l'égalité des individus et sur les liens fraternels qui les unissent tous.").

Par le biais du croisement d'une myriade d'histoires d'hommes et de femmes ordinaires, à l'instar de la mosaïque identitaire et culturelle des Balkans, il tisse une passionnante fresque expressionniste de la vie à Zagreb, Zagreb, la croate, la catholique, la germanophile, "la petite Vienne imprégnée de l'odeur de brioche", "la ville royale d'Agram étouffant sous la botte de Belgrade", Belgrade, la serbe, capitale du Royaume de Yougoslavie, et proche de Sarajevo, "cette belle vallée aux cent minarets, qui sent partout l'humidité, le mouton rôti et la noix de muscade et par rapport à laquelle Tel-Aviv semble être en pleine Europe occidentale".

Et son écriture est à l'image de la vie, de la chair des hommes, où se côtoient et se mêlent le pathétique, le burlesque, le cocasse et le tragique.

 

MM         
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# 21 avril 2024 : Des beaux disques, des beaux spectacles, une belle semaine

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Du côté de la musique :

"Génération (tome 1)" de Ambre
"Out" de Fishtalk
"Take a look at the sea" de Fontanarosa
"Venus rising" de Trio SR9 & Kyrie Kristmanson
"Perpétuel" de Vesperine
"Liminal status" de Watertank
"The great calm" de Whispering Sons
"Keep it simple" de Yann Jankielewicz , Josh Dion & Jason Lindner
Quelques nouveautés en clips avec Isolation, Resto Basket, Greyborn, Bad Juice, Last Temptation, One Rusty Band, We Hate You Please Die
nouvel épisode du Morceau Caché, consacré à Portishead
et toujours :
"Kit de survie en milieu hostile" de Betrand Betsch

"Let the monster fall" de Thomas de Pourquery
"Etat sauvage" de Chaton Laveur
"Embers of protest" de Burning Heads
"Sin miedo" de Chu Chi Cha
"Louis Beydts : Mélodies & songs" de Cyrille Dubois & Tristan Raës
"Arnold Schönberg : Pierrot lunaire" de Jessica Martin Maresco, Ensemble Op.Cit & Guillaume Bourgogne
"C'est pas Blanche-neige ni Cendrillon" de Madame Robert
"Brothers and sisters" de Michelle David & True Tones
"Prokofiev" de Nikita Mndoyants
"Alas" de Patrick Langot, Alexis Cardenas, Orchestre de Lutetia & Alejandro Sandler
"Symptom of decline" de The Black Enderkid
"Tigers blood" de Waxahatchee
"Not good enough" de Wizard

Au théâtre :

les nouveautés :

"Sonate d'automne" au Théâtre Studio Hébertot
"Frida" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses

"Preuve d'amour" au Théâtre du Guichet Montparnasse
"Après les ruines" au théâtre La Comète de Chalons En Champagne
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?" au Théâtre du Guichet Montparnasse
"Royan, la professeure de français" au Théâtre de Paris
Notes de départs" au Théâtre Poche Montparnasse
"Les chatouilles" au Théâtre de l'Atelier
"Tant que nos coeurs flamboient" au Théâtre Essaïon
et toujours :
"Come Bach" au Théâtre Le Lucernaire
"Enfance" au Théâtre Poche Montparnasse
"Lîle des esclaves" au Théâtre Le Lucernaire
"La forme des choses" au Théâtre La Flèche
"Partie" au Théâtre Silvia Monfort
"Punk.e.s" Au Théâtre La Scala
"Hedwig and the angry inch" au théâtre La Scala
"Je voudrais pas crever avant d'avoir connu" au Théâtre Essaïon
"Les crabes" au Théâtre La Scala
"Gosse de riche" au Théâtre Athénée Louis Jouvet
"L'abolition des privilèges" au Théâtre 13
"Lisbeth's" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
des reprises :
"Macbeth" au Théâtre Essaion
"Le chef d'oeuvre inconnu" au Théâtre Essaion
"Darius" au Théâtre Le Lucernaire
"Rimbaud cavalcades" au Théâtre Essaion
"La peur" au Théâtre La Scala

Une exposition à la Halle Saint Pierre : "L'esprit Singulier"

Du cinéma avec :

"Le déserteur" de Dani Rosenberg
"Marilu" de Sandrine Dumas
"Que notre joie demeure" de Cheyenne-Marie Carron
zt toujours :
"Amal" de Jawad Rhalib
"L'île" de Damien Manivel
"Le naméssime" de Xavier Bélony Mussel
"Yurt" de Nehir Tuna
"Le squelette de Madame Morales" de Rogelio A. Gonzalez

Lecture avec :

"Hervé le Corre, mélancolie révolutionnaire" de Yvan Robin
"Dans le battant des lames"' de Vincent Constantin
"L'heure du retour" de Christopher M. Wood
"Prendre son souffle" de Geneviève Jannelle
et toujours :
"L'origine des larmes" de Jean-Paul Dubois
"Mort d'un libraire" de Alice Slater
"Mykonos" de Olga Duhamel-Noyer
"Des gens drôles" de Lucile Commeaux, Adrien Dénouette, Quentin Mével, Guillaume Orignac & Théo Ribeton
"L'empire britanique en guerre" de Benoît Rondeau
"La république des imposteurs" de Eric Branca
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