Comédie de Murray Schisgal, mise en scène de Jean-Laurent Silvi, avec Jean Adrian, Julia Duchaussoy et Jean-Laurent Silvi.
Avec "Love", Murray Schisgal décline le fameux trio du vaudeville de manière inattendue et à l'aune du dogme de l'american way of life de l’Amérique des années 60.
L'action se déroule uniquement de nuit, la nuit de consciences pas très éclairées, dans un no man's land spatio-temporel figuré par un pont,métaphore d'un autre possible.
Milt Manville, archétype du self made man compulsif qui cumule les jobs, financier et revendeur de fripes, sauve la vie à un suicidaire qui se trouve être Harry Berlin, un ancien camarade d'université.
Alors que le premier participe activement à la course à l'échalote qui passe par la réussite sociale trinitaire "amour, gloire et argent", le second, préfiguration du beatnik aquaboniste, est un baroudeur dépressif devenu chochard psychotique au terme d'une vaine quête de la réponse à la question fatale du pourquoi.
Milt, qui veut divorcer, a une idée de génie : il va instrurmentaliser Harry pour le jeter dans les bras de sa femme. Et ça marche, enfin presque...
Murray Schisgal signe une comédie féroce et corrosive dans laquelle il n'éprouve guère de compassion pour ses personnages qu'il confronte à leur vacuité existentielle et à leur amoralité égocentrique. Et c'est avec un humour décapant qu'il dissèque leurs affres tragi-comiques.
Sur une portion de pont métallique conçu par Agostino Pace et, en fond de scène, un ciel animé d'étoiles lumineuses, dignes d'une comédie sentimentale à l'américaine, le trio est composé de Jean-Laurent Silvi, qui assure également une mise en scène efficace faisant la part belle à la comédie loufoque avec un clin d'oeil à la comédie musicale par injonction de musique et de brefs intermèdes chantés, Jean Adrian et Julia Duchaussoy.
Jean-Laurent Silvi campe avec beaucoup d'aisance le mari bellâtre, aussi bête que rusé, qui sombre toujours sans panache dans le ridicule face à Jean Adrian, un de ses homologues au sein du cours de Jean-Laurent Cochet, qui réussit un beau tour de force en insufflant une vraie consistance à un personnage écrit sur le fil du rasoir de la caricature.
Julia Duchaussoy incarne à la perfection avec un jeu assuré et tout en nuances, Ellen, la pseudo-intellectuelle névrosée qui a totalement intégré les codes de la success story féminine, elle aussi trinitaire - mari, maison, enfants - au point de n'exister que par les graphes de la norme imposée.
Comme la partition évolue autour de son personnage-pivot, la réussite du spectacle tient également à sa pétillante présence. |