"Ce soir, je vais voir un concert de dub !" Il est curieux que le premier verbe sensitif qui s’impose concerne la vue, non l’ouïe. On n’entend pas un concert, on le voit. Quelle est vraiment est la part de chaque sens dans le spectacle ?
Au démarrage, il y a Brain Damage : privé de sa moitié bassiste qui a déserté le duo il y a peu, Martin Nathan se retrouve seul au beau milieu du Grand Mix, entouré de ses machines.
Pour lui, le point de vue est clair : le spectacle, c’est avant tout d’en mettre plein les yeux. Son positionnement au cœur du public lui permet d’être exposé à tous, et c’est qu’il en jette du spectacle. Avec les flashes des spots et les projections vidéo, c’est surtout le bonhomme qui donne à en voir. Hochant non pas de la tête mais du corps entier, le machiniste entraîne le public à se plonger dans ses rythmes, préparant le terrain pour la collision à venir.
Martin reste fidèle à son poste et invite la foule à se tourner vers la scène. À l’aveuglette, puisque les spectateurs doivent faire face à d’immenses toiles blanches cachant chaque artiste d’High Tone. Malgré l’habillage de projections abstraites, on ne peut voir qui sont les artistes, ni ce sur quoi ils jouent. Autant fermer les yeux, abandonner la vue, pour mieux s’adonner à l’ouïe.
On assiste alors au mélange de ces deux groupes rescapés d’une vague de groupes de dub émergeant vers la fin des années 90 et se noyant peu à peu dans leurs similitudes.
High Tone et Brain Damage, ayant réussi à tenir le choc, réunissent leurs instruments pour présenter au public le croisement de leurs mondes. Exercice périlleux, puisque toute la performance ne peut se juger que sur la musique en elle-même, et non sur le show.
C’est peut-être là que la faiblesse pointe son nez, les deux univers étant trop proches pour être vraiment complémentaires ? Certains connaisseurs regretteront que la fusion donne lieu à l’effacement, plusieurs morceaux bien trop similaires ne réussissant pas vraiment à sublimer la collaboration.
Heureusement, les panneaux blancs s’abattent peu à peu tandis que Brain Damage s’efface pour laisser pleine place à High Tone.
Les cinq musiciens sont cette fois pleinement visibles sur scène, offrant enfin au public la possibilité de s’immerger dans tout le spectacle. Les sens affûtés par les prestations précédentes se retrouvent submergés. Les projections psychédéliques renforcent le message musical, les clignotements des projecteurs électrisent les esprits au rythme des basses.
La réaction du public est instantanée, chacun se sentant enfin autorisé à se lâcher, et à s’abandonner sauvagement à l’emprise de la musique.
Au final, on a tort de dire qu’on va voir un concert. L’entendre, ça serait terriblement le sous-estimer et gâcher tout ce que peut apporter le spectacle. Le plus approprié, finalement, ne serait-il pas de choisir : "Ce soir, je vais vivre un concert" ? |