Comme son patronyme ne l'indique pas, Rob Sheffield est américain et non originaire du nord de l'Angleterre, des terres qui ont vu naître Human League. Le voici qui nous annonce avoir découvert le Graal, Tomber les filles avec Duran Duran. C'est un peu comme s'il écrivait "Ridiculiser Tiger Woods en 9 trous avec les yeux bandés et une main attachée dans le dos". Le seul moyen qu'on imagine, c'est d'empêcher Tigrou de se présenter sur le parcours parce qu'on l'a enchaîné au fond d'une cave. On peut d'ailleurs aussi essayer cette méthode pour "Tomber les filles avec Duran Duran", mais la loi tout comme la morale le réprouve (sauf si la jeune femme est consentante, Tiger Woods m'avait pour sa part donné son accord).
Revenons à la nationalité de l'auteur et à son parcours. 13 ans en 1980, décennie durant laquelle après des petits boulots racontés dans le livre, il deviendra journaliste pour le magazine Rolling Stone (magazine américain comme son nom ne l'indique pas non plus. Sir Mick Jagger reste quand même un sujet de sa très Gracieuse Majesté, Mamie Pudding).
Lorsque Monsieur Sheffield raconte ses premiers émois au son de la pop des années 80, on voit bien que le rapport des américains à la musique reste éloigné de celui qu'on entretient à la longitude du méridien de Greenwich. Qui parmi vous, lecteurs, pourrait dire ou écrire "Quand Depeche Mode... viennent jouer près de chez nous, Ally, ma femme, commence à choisir ses robes des semaines à l'avance" ?
D'abord, vous écririez "Depeche Mode vient jouer...". Ensuite, nous autres européens, passé la case 14 ans-Biactol-centrale atomique entre les mâchoires, nous ne nous posons pas vraiment ce genre de question : première constatation, point de quatorzagénaires aux concerts de Depeche Mode – trop jeunes –, deuxième constatation, tout dress code autre que le short et la casquette en skaï que Martin L. Gore arborait à la période Master & Servant relèverait de la faute de goût.
Le roman s'étire en chapitres chacun baptisé du nom d'un "tube", ce qui permet de traverser les années 80 au rythme de Ray Parker Jr. "A woman needs love" - 1980, Hall & Oates "Maneater" - 1982 ou Tone-Loc "Funky Tone Medina"- 1988. Hey, les p'tits clous, vous avez entendu ça dans le Top 50, vous ? Que nenni. Ray Parker Jr. reste pour la France le chanteur d'une unique chanson, le ridicule générique de Ghostbusters. Le nom Hall & Oates rappelle la vague image d'une pochette d'album jaune pisseuse illustrée des portraits de deux ringards à cheveux longs, dont un moustachu (hérésie totale alors que dès le tout début des années 80, les jeunes gens mödernes étaient entrés en résistance capillaire face à leurs aînés des seventies). Quant à Tone-Loc, il n'a même pas l'honneur d'un article en français sur Wikipedia.
Désolé Monsieur Sheffield, il semble que nos années 80 n'aient pas eu la même bande-son de ce côté de l'Atlantique. Exit le côté madeleine de Proust qui fait généralement le sel de ce genre d'ouvrage.
Pouvons-nous alors trouver un intérêt à ce livre qui oublie, parmi d'autres, les Cocteau Twins, Dead Can Dance, Kraftwerk, Yello, Joy Division, New Order, Adam & the Ants, The Cure, Talk Talk, AC/DC, Police, The Stranglers, The Jesus & Mary Chain, The Sugarcubes, Elvis Costello, Happy Mondays, House of Love, Young Marble Giants, The Church, Pet Shop Boys, Stone Roses, Pastels, Billy Bragg, Echo & The Bunnymen, The Stray Cats (américains émigrés à Londres), Lloyd Cole & The Commotions, Sonic Youth (new-yorkais bruitistes)... et ultime outrage, LE groupe américain qui a mis un bon coup de pied dans le fondement des eighties à grands effets de larsen et a définitivement ouvert la page musicale des années 90, les Pixies qui, il est vrai, étaient édités par le label anglais 4AD ?
La réponse à la question qui était tellement longue que vous l'avez déjà oubliée est malheureusement non, ou vraiment de manière détournée. C'est un livre dans lequel l'auteur ne dit pas vraiment de bien d'Haysi Fantayzee, groupe justement absent de l'histoire de la musique, et ça c'est plutôt un bon point.
C'est un livre qui donne envie de revoir la partie du Live Aid enregistrée à Wembley, et de laisser le DVD de la partie américaine dans sa boîte (dont elle ne sort d'ailleurs jamais) même si la prestation de Duran Duran y est plutôt agréable. C'est un livre qui donne envie de revoir pour la énième fois The Breakfast Club de John Hughes, le vrai apport américain de la décennie 80 à la pop culture a été le teenage movie. Enfin, on remarque avec déplaisir que Tomber les filles avec Duran Duran abîme autant les noms ("Kim Wylde" malheureusement écrit avec un "Y", page 86) que la toute première édition du "High Fidelity" de Nick Hornby qui reste néanmoins la référence pour ce genre de littérature nourrie à la musique pop. |