Création de la Compagnie Maëlstrom, d'après une libre adaptation du conte de Charles Perrault, mise en scène de Chloé Duong, avec Clémence Chatagnon, Nicolas Chevrier, Laurent Cogez, Lucile Corbeille, Thomas Mallen, Benoît Morvan, Frérique Renda et Kevin Thébault. De la version comico-trash des années 70, "Elle voit des nains partout" de Philippe Bruneau. à la revisitation tragique des mythes par le dramaturge anglais Howard Barker, en passant par la psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, les horreurs véhiculées par le conte transitionnel à destination privilégiée des enfants nourrit l'imaginaire du théâtre et fascine les adultes.
En résidence à La Loge pour la saison 2011-2012, la Compagnie Maëlstrom, fondée par Chloé Duong et regroupant de jeunes comédiens issus de la promotion 2011 de l'ESAD, a fait du conte un de ses terrains d'exploration pour la création de formes courtes présentées dans le cadre de soirées génériques bimensuelles intitulées "Ils étaient une fois".
Dans ce cadre, le choix de Chloé Duong s'est porté sur "Peau d'Ane", conte syncrétique de Charles Perrault dont le thème central est celui de l'inceste, dont elle livre une libre adaptation époustouflante bien éloignée de la version cinématographique waltdysnérisée ou psychédélique de Jacques Demy.
Enfreindre le tabou majeur et universel de l'inceste ne peut se résoudre que dans le tragique et le sang.
A la table royale qui ripaille pour la fête du carnaval durant laquelle règnent les masques, l'allégresse est de rigueur jusqu'au moment où elle devient sacrificielle quand les inquiétudes de la Reine, femme rongée par le déclin de sa jeunesse et la jalousie (Clémence Chatagon) scellent son destin funeste comme celui de sa propre fille (Lucile Corbeille).
Et à peine veuf, le Roi (Benoît Morvan), homme jouisseur, trivial et sanguin qui ne maîtrise guère ses pulsions doublé d'un monarque tout puissant et totalitaire et d'un prédateur qui aime la chasse, entend épouser sa fille malgré les protestations molles de son aréopage (Nicolas Chevrier, Thomas Mallen et Kevin Thébault) et de la marraine (Frédérique Renda).
Tous les comédiens sont excellents dans cette partition dont le réalisme, même s'il reste grave, voire violent et funeste, est distancié par un parti-pris de mise en scène et une scénographie qui parvient, avec des composantes modestes mais judicieux, d'immerger le spectateur dans l'atmosphère onirique propice à le maintenir dans cet état de fascination que dispense le conte.
Au demeurant, un des points forts de ce spectacle tient à la rigueur, outre de la direction d'acteur, à celle d'une scénographie à la forte composante esthétique et cinétique.
En l'occurrence, le choix d'une seule couleur pour le décor et les costumes, celle du blanc séraphique, en contrepoint aux pulsions animales qui pervertissent les hommes, le recours à des procédés cinématographiques tels le ralenti ou l'arrêt sur image et la conception d'une bande-son qui participe pour beaucoup à l'instauration d'une atmosphère d'inquiétante étrangeté.
Ainsi, les personnages apparaissent figés en contre jour devant un fond de scène blanc et lumineux sur "Heaven", un morceau de l'album Neveroddoreven du groupe anglais de pop électronique I Monster qui évoque les morceaux composés par Jocelyn Pook pour les scènes délétères du rêve et du bal masqué du film "Eye Wide Shut" de Stanley Kubrick. De même, en utilisant la musique lo-fi composée par Jed Kurzel, du groupe The Mess Hall, pour "Snowtown" le premier film de Justin Kurzel traitant d'un père diabolique.
D'une qualité rare, ce work in progress, qui s'achève sur la fuite de la princesse revêtue de la peau de l'âne, mérite d'être suivi avec attention. |