Il y a un dicton populaire qui dit : "Si pour Solidays tu as un temps pourri, à Beauregard tu n'auras pas la pluie". On y a cru le temps des trois premières éditions de Beauregard à ces proverbes qui sentent le foin et la bière tiède, mais cette année était très différente.
En seulement quatre éditions, le festival de Beauregard, à Hérouville-Saint-Clair près de Caen, s'est imposé comme une date incontournable de l'été. Peut-être n'est-ce pas le festival qui promet les plus grosses têtes d'affiche, mais dans le genre indé, on est certain d'y trouver notre bonheur.
Cette année, l'affiche très pop semblait plus fédératrice que l'année dernière lorsque ZZ Top et Motörhead étaient les produits d'appel du festival. Gossip, Franz Ferdinand ou The Kills ont des titres diffusés en radio, ce qui permet donc à l'organisation de s'adresser à un plus large public. Pari réussi puisque cette année encore le record d'affluence a été battu malgré des conditions météorologiques difficiles : 55.444 spectateurs en trois soirs. Presque 10% de public en plus par rapport à l'année 2011.
La sortie de Paris embouteillée en cette veille de premier week-end de départ en vacances, les averses sur la route et les ralentissements sur le périphérique de Caen ne nous permettent pas d'arriver à temps pour la prestation d'Olivier Depardon qu'on entend seulement de loin en entrant sur le site. Et pourtant, on s'était promis de ne pas manquer les artistes en découverte. C'est d'autant plus dommage que le disque d'Olivier Depardon, Un soleil dans la pluie, est hautement recommandable, sombre, sobre et tendu. En toute confiance, on lui donne rendez-vous pour une prochaine fois.
Vient le tour des Lanskies sur la grande scène. Un chanteur originaire de Liverpool, un guitariste berlinois et trois autres musiciens pour ce combo bas-normand. A la première écoute, leur pop punk mélodique est accrocheuse. Question look, par contre, il y a certainement des efforts à faire.
Le chanteur Lewis Evans arbore une affreuse chemise avec des perroquets multicolores qui lui donne un look de rosbeef fêtard à Torremolinos, quant aux deux guitaristes avec leurs lunettes de soleil et leur gilet en jeans, ils semblent échappés d'une reformation de Starshooter.
Dommage pour ceux qui en 2010 ont représenté la France musicale au salon de la mode à Dalian en Chine, même si Beauregard n'est un festival du prêt-à-porter. Lewis Evans parle en français, va chauffer les premiers rangs. "What's the meaning" sonne bien. Le punk festif de "However" fait bouger les premiers rangs. Mais on se lasse néanmoins rapidement de ce groupe influencé de manière trop évidente par beaucoup d'autres (Bloc Party, Kaiser Chiefs...) et qui n'a pas encore trouvé sa propre personnalité.
À 18h20 tapante, on retrouve l'ami Miossec. Ses récents concerts au Casino de Paris ont été suivis de bonnes critiques : sobriété, envie positive d'en découdre, plaisir de jouer. Il y a par contre la surprise de voir Miossec à cet horaire en plein air, les chansons du breton étant a priori plus adaptées à la pénombre.
Le set commence par "Chanson pleine de voix", extrait de son dernier album Chansons ordinaires. Le gros problème, c'est que la sienne s'est faite la malle. On se demande si le brestois tient une sévère cuite ou s'il est malade. Il peine à rester debout, est bourré de tics, s'essuie la bouche sans cesse, ses yeux se révulsent...
Plus que gênant, on s'inquiète surtout pour la santé de Miossec. Habillé tout noir, bronzé, il semble pourtant content d'être sur scène. Le groupe derrière lui, composé de vieux requins, est bien solide, bien rock. Certainement le concert le plus rock de la journée. En une heure, Miossec passe en revue les chansons de son dernier album, mais interprète aussi "La fidélité". Seuls les fans purs et durs du chanteur auront été convaincus par ce concert vraiment sur le fil.
Si Miossec a réussi à boire avant de monter sur scène, ce n'est pas le cas de plusieurs centaines de festivaliers qui font la queue aux stands pour acheter des tickets de boisson alors que les buvettes sont vides. Il faut dire qu'à 2,80€ le ticket pour un demi de bière ou un soda, les bénévoles sont perdus pour rendre la monnaie. Je me dépêche de donner mon billet, de récupérer ma monnaie et mes tickets. Zut, j'ai payé pour huit tickets, on ne m'en a donné que cinq. Une mauvaise organisation des buvettes qui coûtera certainement en fin de festival un peu d'argent aux organisateurs car lorsque les groupes ne jouent plus, pas la peine d'espérer vendre des rafraîchissements.
Killing Joke. Ça fait longtemps que le groupe du récent Chevalier des Arts et des Lettres, Jaz Coleman, ne provoque plus le même engouement que dans les années 80. Ce groupe qui a influencé Metallica, les Foo Fighter, Nine Inch Nails ou encore Rammstein fait aujourd'hui parti des reliques du punk rock. Emmenés par un leader habitué à tous les excès, on ne s'attendait pas à les trouver encore en vie trois décennies plus tard. Et pourtant. Le son est toujours rêche et méchant, les guitares sont plus lourdes, la basse plus grasse. Au milieu de cette baston sonique, le clavier parvient à s'imposer, mais les sons qui en sortent prouvent l'âge du groupe.
Aujourd'hui plus métal que post punk, Killing Joke revisite tout son répertoire : "Rapture" sera le seul extrait du dernier album. Même le single "In cythera" sera oublié. Ils joueront "Bloodsport", "Requiem", "The wait" ou encore "Madness" de leurs tous débuts. La version de "Love like blood" est en surtension artérielle, la batterie martiale à souhait. Il y aura même "Great Cull" et "Absolute Dissent" de l'album paru en 2010. Jaz Coleman continue à vouloir nous faire croire qu'il est Nosferatu. Même si le show, tout en emphase gothique, prête à rire, le gros son de Killing Joke reste très efficace. Belle prestation d'un groupe dont on n'attendait pourtant plus grand-chose.
Quant à nous, nous avons quelques problèmes pour nous faire accepter aux crash barrières pour les photos. On passe un premier filtre, puis on se fait refouler par le videur juste avant d'entrer entre les barrières et la scène, à l'endroit d'où on peut photographier les groupes dans de bonnes conditions en début de set.
Après le chaos killing-jokien, je file vers les coulisses où une interview avec Jaz Coleman était prévue. Pendant ce temps-là, la blonde et belge Selah Sue entame son set sur la seconde scène. Au loin, le concert semble se dérouler sans faute de goût. Aux dires de ceux qui y ont assisté, la chanteuse a offert une jolie performance.
Une demie-heure et toujours pas de nouvelles de Jaz Coleman. Je repars sur le site du festival et me place pour Dionysos. Plus tard, un message me prévenant que l'interview pouvait enfin avoir lieu se perdra dans les limbes des messageries des opérateurs mobiles. Après les problèmes pour prendre les photos et les tickets de boisson qu'on ne nous a pas donné, on commence à se dire que ce n'est pas notre jour. Tout rentrera dans l'ordre rapidement grâce à l'intervention du personnel chargé des rapports avec les média web (que nous remercions au passage, en particulier pour les photos), mais en ce début de festival l'organisation semble fébrile.
La tornade dionysiaque déferle sur la grande scène. Qui n'a pas vu Dionysos en concert ne sait pas ce qu'est l'énergie rock. Matthias Malzieu est la solution à la crise énergétique mondiale, moins polluant qu'une raffinerie de pétrole, plus efficace et moins dangereux que le parc japonais de centrales atomiques, il est néanmoins plus bruyant qu'un parc d'éoliennes. Pas de surprise concernant la manière de se présenter du groupe : costumes sombres pour les garçons, petite robe pour la violoniste, Babet. Derrière le groupe, trois choristes de luxe, habillées en robe rouge, parmi lesquelles on reconnaît la charmante Lise, pour l'album de laquelle Matthias avait écrit un titre.
Le problème de Dionysos, c'est que lorsqu'on a vu un concert, on a l'impression de les avoir tous vu. "Coccinelle", "John McEnroe's Poetry", "Song for jedi", "La métamorphose de Mister Chat", avec pour cette tournée, en sus, "June Carter en slim". Dans le rôle du plus mauvais cascadeur du monde, le serial slammeur Matthias se fait porter par le public vers la table de mixage, chante avec un mégaphone, puis slamme à nouveau pour se faire porter sur scène. Mais il ne semble plus du tout y prendre plaisir. D'autant plus que quelqu'un dans le public lui a, cette fois-ci, arraché la ceinture du pantalon qui lui tombe sur les cuisses alors qu'il termine sa chanson. Quant aux deux écrans autour de la scène, celui de droite s'éteint brutalement en début de set. Grosse ovation du public pour un concert qui sent pourtant le réchauffé.
Après Dionysos, pas le temps de souffler. On enchaîne avec Shaka Ponk. Là encore, un groupe de scène qui n'a de leçons à recevoir de personne. Projections d'images en arrière-fond dont le fameux singe Goz. Entrée de Samantha Sam, la chanteuse, et de Frah, le chanteur, en ombres chinoises. Un show bien rodé qui enflamme le public venu voir la "révélation rock" de l'année. Les singles s'enchaînent, "Sex Ball", "My name is Stain", "Let's bang"... Mais hormis l'énergie, rien ne semble accrocher dans ces chansons qu'on entend régulièrement en faisant ses courses au supermarché. L'impression d'un feu de paille, de quelque chose qui brûle rapidement et manque de matière. Encore une fois, le public est conquis, tant mieux pour eux...
La déception Shaka Ponk aura au moins permis d'aller se restaurer tranquillement avant les Kills, et de régler enfin définitivement les soucis d'accréditation et d'accès aux crash barrières.
Des Kills, j'avais aimé le premier album en 2002, mais No Wow en 2005 étant plus que dispensable, j'avais arrêté de suivre ce groupe. Le mariage de Jamie Hince avec Kate Moss, leur participation aux pubs de la marque de fringues "Zadig et Voltaire", leur interview par TF1 sur le site d'Hérouville-Saint-Clair avant leur concert, finissent de me laisser dubitatif sur la valeur réelle de ce groupe que je n'écoute plus depuis longtemps, mais porté aujourd'hui aux nues du rock par une foule de chroniqueurs et un public chaque jour un peu plus nombreux.
Du premier album, seront joués 'Kissy kissy", puis en rappel "Fuck the people" et "Monkey 23", seules chansons à trouver grâce à mes yeux. Ce groupe qui hier plaisait parce qu'il était brut de décoffrage, assumait son rock sale et fauché, s'entoure aujourd'hui de quatre batteurs qui les accompagnent en tapant sur des toms, de gros fûts de batteries, tiennent les baguettes croisées devant eux les bras tendus devant eux entre deux chansons en une chorégraphie grotesque, portent des foulards rouges sur la bouche dans le genre Dalton.
Cloclo avait les Clodettes, Jamie Hince et Alison Mossahart vous présentent les Killett Boys. Tout cela est absolument ridicule. On ne croit plus au jeu de la séduction entre Alison Mosshart et Jamie Hince. On attend que ce groupe recommence à écrire des chansons plutôt que de se la jouer groupe de rock new-yorkais d'une pub pour parfum Paco Rabanne et de squatter les pages des magazines people. "Tu as vu mes fringues ?, "Et mes bottes vintages, tu les aimes mes bottes vintage ?", "Et ma couleur ratée en dégradé, je suis trop punk avec mes cheveux rouges..."
Autant les précédents concerts de la journée étaient décevants par rapport à ce que j'en attendais, autant celui-ci est énervant tellement ce groupe est surfait, se prend au sérieux et semble désormais incapable d'écrire un morceau qui ne soit pas parodique. Pathétique ! Encore une fois, la grande majorité du public a aimé. Ne me demandez pas pourquoi.
Après la farce des Kills, direction la scène B. Les Hot Chip ont déclaré forfait environ une semaine avant la date du festival, obligeant les organisateurs à trouver une solution de rechange en la personne de Superpoze, musicien de Caen, qui avait ouvert à la Cigale à Paris pour Beat Assailant. Il compose une musique ambient techno slow tempo tout à fait agréable. Coincé derrière ses machines, éclairé par des lumières froides, sa performance pourtant minimaliste séduit le public. Pas encore signé, il propose en téléchargement libre sur son Bandcamp un album et un EP. Belle découverte.
Après une petite pose, c'est ensuite au tour de Metronomy d'occuper la grande scène. Habillés de manière désuète en explorateurs, Joseph Mount et sa bande enchaînent les extraits de Nights Out et de The English Riviera. Le show est propre, le son clair. Gbenga Adelekan à la basse sourit à pleines dents, Anna Prior à la batterie, joue les yeux fermés, la base rythmique est bien solide. Tous semblent heureux d'être là. Le public se déhanche. Le tubes tels que "Radio Ladio", "Heartbreaker" ou "The Look" s'enchaînent. La première soirée se termine tranquillement en roue libre.
Le bilan de cette journée se révèle donc aussi mitigé que le temps. Bonne surprise de groupes dont on n'attendait rien de spécial (Killing Joke, Superpoze), déception pour des groupes dont on attendait certainement trop (Shaka Ponk, Dionysos, Metronomy) et un gros coup de gueule suite à la piètre prestation de la tête d'affiche de la journée (The Kills). |