C’est parti pour le troisième jour du festival des Nuits Secrètes à Aulnoye-Aymeries (59). On commence à fatiguer un peu, mais le programme qui s’annonce aujourd’hui garde notre motivation intacte.
Il a fait chaud, mais chaud, vraiment ! On a même pris des coups de soleil, c’est vous dire. La bruine est de retour ce soir, mais rien ne nous arrêtera : rechargés à bloc, on commence par Sinyaya Kozha au Jardin, déjà vus le vendredi, mais ces deux-là sont tellement touchants et enthousiasmants que ça vaut un bis.
Le soir n’est pas encore tombé que déjà les rocks stars locales nous font leur show bouillant sur la Grande Scène : The Mamys & the Papys, qui ont ouvert le bal en début de festival, viennent le refermer en beauté. Cette chorale de retraités du coin, emmenée par une jeune femme débordante d’énergie, nous offre quelques reprises pas piquées des hannetons : "Louxor, j’adore", de celui qui les a un peu parrainés l’an dernier, un "Sea, Sex and Sun" avec gémissements et choré sensuelle, on en arrivera même au lancer de petites culottes ! Ils sont accompagnés par Benoît Carré et ses musiciens, et visiblement, tout le monde s’amuse. Ils ont cette année un invité "junior" : un jeune rappeur se joint à eux sur un "Fell good Inc." de Gorillaz tout à fait convaincant. Leur désormais célèbre "Antisocial" finit de convaincre un public ravi. The Mamys & the Papys sont les mascottes du festival ! Vous connaissez "La Minute Vieille", sur Arte ? Et bien vous avez là sa version musicale.
On reste dans le rock, mais nettement plus gras : The Masonics arrivent. Ça serait un peu comme si les Clash s’étaient pris 30 ans dans la figure.
Du papi comme ça, on veut le même à la maison : lunettes sur le bout du nez, chemises à carreaux, casquette, ça envoie du bon gros rock, de la batterie bien carrée, de la guitare bien crade, c’est parfait.
Sur la Grande Scène, on passe à un style complètement différent : le groove pop électro de Great Mountain Fire (ex Nestor !) met une ambiance gentiment dansante. Ils mènent bien leur set, ça bouge dans tous les sens sur scène, c’est créatif, ils savent bien nous amener dans leur énergie rafraîchissante. Complètement différent de l’ambiance recueillie de ce qu’ils ont proposé en Parcours Secret, et ça, c’est bien !
Chauffés par Great Mountain Fire, on attend ceux qui rassemblent les familles de tous horizons : Zebda. La Grande Scène est comble, jeunes minets et minettes, papis à bérets, familles au grand complet, pré-ados aux cheveux gélifiés, tout le monde est d’accord : Zebda sur scène, ça dépote. C’est qu’ils en ont, de l’expérience scénique, les loulous ! Magyd est là comme un pilier, Mouss et Hakim sautent autour de lui, le dialogue entre eux ne s’est jamais rompu et ça se voit, ça s’entend, ça glisse, c’est rodé, impeccable. Les toulousains font le job, et bien : musique dansante et une pêche à tout casser sur scène, tout le monde est content. Même les pas forcément fans sont épatés, il n'y a pas à dire, Zebda, pour terminer le festival en famille avec le sourire, c’est parfait.
Encore une preuve de la programmation diversifiée mais parfois ultra pointue de ce bonbon sucré de festival des Nuits Secrètes : Colin Stetson est au Jardin. Saxophoniste canadien ayant collaboré avec Arcade Fire ou Bon Iver, pour nous public, il est avant tout un instrument. Son incroyable saxophone basse trône sur la scène et intrigue, projette déjà un imaginaire, éclairé par la lumière d’un Darius Khondji, peuplé des atmosphères glauques de films post-apocalyptiques.
Colin Stetson ne joue pas, il souffle, il vibre, il frappe, il se balance, il cherche la transe. Par la respiration continue, il fait sortir mille sons de son instrument, mille chemins à suivre. Plusieurs micros permettent de capter chaque impulsion, chaque accent, et un autre en collier nous fait entendre le "chant" de ses cordes vocales. C’est une prouesse technique et c’est un miracle sensoriel. Il prend parfois un sax alto, qui nous fait entendre une symphonie mélodique claire, mais au saxo basse, c’est le vent des steppes, le souffle polaire, rythmés d’un balancement essentiel qui évoque la marée, les phases de la lune, la danse des derviches, le fondamental.
Moment absolu où il nous présente un morceau dont le thème est en rapport avec cette baleine dont le chant ne correspond à aucun autre chant répertorié, cet animal qui chante dans l’océan et à qui personne ne répondra ; morceau d’une infinie tristesse où le rythme se fait pulsatile, où la dimension élémentaire et nos cœurs d’humains se rejoignent dans ce souffle. Choc esthétique sonore ultime.
Puis l'ambiance change une fois encore avec l'arrivée sur la scène du jardin de Charles Bradley et ses Extraordinaires. Le "Black Swan" offre un show soul et funk de rêve. C'est chaud, c'est vibrant, c'est lumineux, passionné, enflammé... L'espace d'un instant, on se prend à imaginer que c'est son altesse James Brown elle-même qui croone ainsi dans ses habits de lumière. Puis on se dit surtout que c'est ce que Michaël Jackson aurait pu devenir s'il n'avait pas déconné en route. Finalement, on se laisse capturer par la voix du jeune premier et l'on s'occupe d'enlacer sa moitié – ou d'en trouver une. Et dire que l'homme n'en est, malgré sa cinquantaine passée et ses allures de vieux briscard, qu'à son premier album. La grandeur, tout simplement.
Celui qui ferme le bal de la Grande Scène est déjà un habitué des Nuits Secrètes : Healer Selecta, grand manitou français des nuits londoniennes, celui qui sait mélanger sur sa platine toute la soul et le rockabilly que vous n’avez pas encore découvert, était déjà là l’année dernière, il ferme la boutique tous les soirs à la Bonaventure, bref, il est partout. Et il a amené ses copains les Dustaphonics. Une grosse énergie, une chanteuse au tempérament explosif, un batteur ex-Milkshades, un jeune bassiste talentueux, tout est réuni pour un concert de folie, et le public a bien l’intention de profiter de son dernier concert gratuit.
Au même moment, le Jardin s'offre une fin de soirée aux allures de best-of reggae, en réunissant sur un même plateau trois grands noms de la musique jamaïcaine : The Congos ; Max Romeo et – excusez du peu – Lee "Scratch" Perry lui-même, LE Godfather du Reggae. De quoi s'enfoncer doucement dans une nuit cotonneuse comme un épais nuage de fumée... les amateurs ont apprécié.
Oh mais c’est déjà fini ? Voyons : des découvertes renversantes, des concerts attendus et réussis, des groupes qu’on a envie de revoir, quelques frustrations pour nous faire baver un peu, des bénévoles adorables, des gaufres brûlantes servies avec le sourire… Oui, tout y est.
On va même pouvoir prolonger le plaisir avec les Secrètes sessions, des morceaux enregistrés par certains groupes de la programmation mélangés à des artistes locaux, qui seront très bientôt disponibles en téléchargement gratuit sur le site du festival, et en concert à Paris au Divan du Monde le premier Septembre pour certains d’entre eux. |