Deuxième jour au festival des Nuits Secrètes à Aulnoye-Aymeries, dans le Nord. À peine remis de nos émotions de la veille, l’envie de faire de nouvelles découvertes nous réveille sous le soleil, oui ! Le soleil !
Après un petit déjeuner complet au camping (merci aux bénévoles du matin, qui nous réveillent avec le sourire et du Nutella, peut-on rêver mieux ?), une bonne douche chaude, un brin de trainasse autour de la tente où les couche-tôt se lèvent et les lève-tard ne dorment pas encore, on bouquine, on sieste. Ceux qui aiment barboter peuvent également se rendre dès 14h à la Piscine d'Aulnoye-Aymeries, où certains artistes du festival proposent des DJ-sets étanches, en maillot et bonnet de bain. Mais le festival s'anime véritablement en même temps que le Jardin, qui voit arriver les festivaliers encore portés par leur première folle nuit de musique.
Klink Clock, duo Yvelinois qui monte qui monte, ouvre le bal au Jardin.
Groupe-couple de rock, format White Stripes : lui à la guitare, elle à la batterie ; mais on oublie vite ce qui saute aux yeux. Pas de pose ici, on va direct au sujet et on parle rock. Ça envoie, la batterie, réduite au strict minimum, roule à plein régime, et la guitare est volontiers crade. C’est pas mal du tout, bonne surprise.
Pendant ce temps, les Radical Suckers ouvrent la Grande Scène. On attaque ici aussi avec du gros son. Le groupe est du coin, ils reconnaissent "plein de têtes connues, ça fait plaisir" et ça leur fait du bien pour assurer une ambiance métal avec solos de guitare rock à la papa, à cette heure ensoleillée, ingrate pour un tel exercice. Un jeune groupie pogotte tout seul, plusieurs travaillent des cervicales avant de le rejoindre, sous l’œil de têtes grisonnantes, et sans doute bourdonnantes, de locaux attentifs : leurs parents ? Plaisir du mélange des genres.
Après cet épisode très rock, passons à un peu plus de douceur, estonienne s’il vous plaît : Ewertt & The Two Dragons au Jardin. Vous connaissez forcément leur single "(And in the end) There’s only love", pop super efficace, tout mignon : c’est le premier morceau du set, hop, ça c’est fait, maintenant, on découvre ce groupe nouveau chez nous. Ce qui est sûr, c’est que si nous les connaissons encore mal, les estoniens, eux, doivent les avoir vu tourner un paquet de fois. Ces blondinets-là ont quelques heures de scène, ils sont pro, propres, on ne va pas dire lisses mais ce n’est pas loin. La musique, un peu homogène, nous ballade dans sa bulle, c’est soft, bien fichu, agréable.
Au même moment, d'autres se laissent dériver au gré d'un parcours secret ou d'un autre. Dans une grange de Dompierre, les Dustaphonics livrent un show allégé en électricité mais toujours tout en intensité soul. La chanteuse livre au public, recueilli, tout ce qu'elle peut et l'on n'est pas très loin de l'énergie d'une Tina Turner.
Pendant que, tout aussi secrètement, entretenu par une fin de parcours pédestre et champêtre, un corps de ferme superbement rénové accueille une tout autre ambiance : paille au sol, bancs rangés religieusement, lumière tamisée de lampes à pied posées ça et là, Benoît Carré nous propose, non pas un "Voyage en Italie", mais une bal(l)ade romantico-pop, peut être trop proprette, ponctuée d'un duo par écran interposé avec sa sœur Isabelle.
Changeons de décor, changeons de continent, changeons de scène.
Après l’Europe de l’Est au Jardin, Hawaï à la Grande Scène.
Prenez autant de surf music que de country, une voix un peu soul, baignez le tout dans une ambiance feel good, décorez avec les enfants du chanteur qui écoutent papa, installés sagement en bord de scène, tapant le rythme de leurs pieds nus ; vous obtiendrez Donavon Frankenreiter. Voilà voilà, quand on vous dit qu’il y en a pour tous les goûts, hein…
Pendant ce temps, le Jardin s’est rempli pour le rap électro-yiddish de SoCalled. Après avoir pris autant de plaisir en Parcours la veille, forcément, on attend de voir ce que va donner la fantaisie du canadien sur scène.
Bon, c’est bien, c’est vraiment bien. La voix de Katie Moore est décidément comme une caresse. On gigote on gigote. Les tours de magie sont là. Les musiciens s’amusent. Voilà. C’est exactement pareil qu’en Parcours. Même set ou presque, même gimmicks, parfois au geste près. C’est un peu frustrant, a posteriori, pour le Parcours. Comme Great Mountain Fire, qui a retravaillé son set pour un public restreint, un lieu différent de la scène, on aurait voulu que le Parcours de SoCalled ne soit pas l’exacte copie de sa prestation scénique. Dommage, mais ça n’enlève pas le plaisir régressif de chanter en chœur "These are the Good Old Days".
La nuit tombe, la foule commence à se faire compacte. Stephen Malkmus & The Jicks s’avancent sur la Grande Scène. Voilà un concert attendu. L’ancien de Pavement sort son cinquième album, produit par Beck, l’indie rock à son sommet, miam-miam. Sauf que non. Il connaît la musique, les structures sont éprouvées, certaines intros ne demandent qu’à décoller, mais non. Le moteur tousse et cale. Il ne se passe rien. Le rock laid back n’est pas si éloigné de la ballade toute bête. On reste en dehors du concert, on n’entend rien malgré le son.
Du coup, avant la fin du set, on mange une gaufre (c’est quasiment obligatoire, le péage supplémentaire du Jardin) et on va voir comment Camille occupe le Jardin, elle qui l’avait investi il y a 4 ans déjà. Et pour occuper, elle occupe ! Quelle foule ! Wax Taylor et Puppet Mastazz n’avaient pas fait mieux. Bien sûr, il y a des enfants partout sur les épaules des parents, tout le monde a le sourire, c’est le retour de la grande sœur prodigue. Camille joue les minimalistes sur scène. Très peu de lumière. Le corps de la chanteuse est le support et l’objet vivant de la mise en scène. Un spectacle plus qu’un concert. Elle offre une prestation, elle ne partage pas un moment de connivence avec le public. Même quand une petite fille monte sur scène, c’est pour danser avec le monsieur qui tient la corde de l’ampoule-décor, pas avec Camille. Techniquement, c’est bien, belle voix, innovations vocales, recherches scéniques et visuelles. Mais pardon, on ne trouve pas l’émotion ? Nous devons avoir un cœur de pierre. Allons voir dEUS.
LE groupe de rock belge, que les organisateurs espéraient depuis les débuts du festival, joue ce soir sur la Grande Scène, gratuite. Et en plus, ils ont l’air d’aimer ça.
Tom Barman, poitrail offert, alterne efficacement classiques indémodables et titres du dernier album Following sea, sorti cette année assez discrètement et ça n’est pas très grave : hormis la curiosité qu’est "Quatre mains", parce qu’il est en français, ça n’avait rien de révolutionnaire.
Ceci dit, dans ce show bien rodé il y a quelque chose de bancal : cette voix typique, identité du groupe, est au bord de la brisure. Notamment sur "Keep you close", si familier à nos oreilles, cette faille ajoute une émotion inespérée. La perte de la maîtrise dans cette grosse machine qu’est dEUS déstabilise et submerge un peu. Cette défaillance reviendra parfois, comme sur "Fell off the floor, man", à la toute fin, chef-d’œuvre où le groupe cite en passant "Sabotage", en petit hommage aux Beastie Boys. Les convaincus seront vaincus, les perplexes resteront plexes, mais un concert de dEUS, c’est toujours bien. Encore plus quand ils étonnent et perdent le contrôle.
Après la sobriété de Camille, le Jardin termine son samedi soir avec un quatuor improbable. Nom improbable, looks improbables, quatre DJs du Nord aux manettes, tous en même temps : Club Cheval, on vous dit, sur le papier, c’est improbable. Mais pour de vrai, c’est wouahou, yeah, encore ! Ben voilà, il est là le renouveau de l’electro dance ! Du léger, du groovy, de l’inventivité, de l’humour, bon sang que ça fait du bien. Et puis ces quatre mecs qui s’éclatent ensemble, circulent, bidouillent sur la platine du voisin, partent boire un coup en coulisse, reviennent, dansent, c’est rafraîchissant comme tout, comme un groupe de potes qui aurait dit bon là on vous fait le set de fin de soirée, ça vous dit ? On a du bol, ils sont pro les potes, ça part dans tous les sens et ça sort maîtrisé, on est conquis dès les premières minutes, super fin de soirée.
Pour clore ce samedi en beauté, on s’offre un petit tour à la Bonaventure, enfin de retour, elle nous avait manqué depuis 3 ans ! Installée dans l’ancienne usine 232U, du nom de la dernière locomotive sortie des ateliers, elle est accessible par navette, ça repose nos pauvres pieds éprouvés, cool. Dans le bus, ambiance 3ème mi-temps, caleçon descendu, chansons paillardes… Comme une envie de demander au chauffeur si on va au Macumba Disco Club ou si c’est bien Silvouplay qui ouvre le programme… Le lieu est beau comme une usine désaffectée qui a trouvé sa reconversion, le public fatigué mais happy, et le set de Silvouplay, enthousiasmant. Un DJ accompagné d’un guitariste, c’est rock, c’est électro, ça donne envie de danser, de se laisser porter. Mais l’ambiance n’y est pas, c’est plutôt on discute entre copains, peut-être faut-il laisser le temps à la température de monter. Trop fatigués pour ça, retour au camping à pieds, sur la petite route nimbée par la pleine lune.
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