On est heureux chaque année de retrouver les Nuits Secrètes, festival de taille modeste à l'ambition maximale : éco-citoyenneté, découvertes, ambiance familiale... Bref : l'un des rendez-vous éminemment recommandables de l'été. Installé depuis 11 ans dans le sud du Nord, à Aulnoye-Aymeries, il s'est montré parfaitement à la hauteur et nous a régalés trois jours durant. Retour sur les moments marquants de cette édition.
Pour ouvrir le Festival, sur la scène du Jardin encore très clairsemée, le duo local Sinyaya Kozha est assez parfait avec son univers poétique, déroutant, mais fascinant.
Le chanteur, Thierry Dupont, un vrai rockeur pénétré, est comédien dans la compagnie de théâtre L’Oiseau-Mouche, composée de personnes "en situation de handicap mental". Ne sachant ni lire ni écrire, il interprète des textes appris sous forme de rébus, parfois dans une langue instinctive qui ressemblerait à du "yaourt" coréen. Le sourire nous vient quand il interprète à sa façon "Les mots bleus" de Christophe, ou "Libertine" de Mylène Farmer. Mais cette bizarrerie est incarnée de façon si simple, si directe, qu’elle ressemble à du surréalisme au premier degré, sincère et sans prétention ; et le sourire devient intérêt puis compréhension évidente, comme devant une langue étrangère, mais sans étrangeté.
Le musicien qui l’accompagne, Benjamin Delvalle, le suit en permanence au plus près, à la guitare ou à la batterie, parfois enrichies de boucles. Son regard bienveillant accompagne Thierry Dupont en collaborateur, tout à la fois techniquement très riche et respectueux de cet univers singulier.
Premier groupe, première bonne surprise : le spectacle a commencé, on est conquis.
Le festival des Nuits Secrètes n’est pas un festival comme les autres, il a un secret : ses Parcours. Acheter une place de concert, sans savoir quel artiste on va voir, ni où, ça n’est pas une démarche à laquelle on est habitués. Mais c’est justement ça le plaisir, le petit frisson, le petit pas dans l’inconnu : allez zou, on y va !
20 minutes de bus sous une pluie battante et nous débarquons à Maroilles. Nous ne savons toujours pas qui nous allons voir des 10 artistes prévus en Parcours. Suspense ! Nous rentrons dans l’ancien moulin rénové, et c’est SoCalled et sa bande, yeah ! Chouette, on va avoir droit à un concert intimiste de rap yiddish mâtiné d’électro sautillante, qu’est-ce que ça peut bien donner pour un public de 50 personnes ?
Et bien c’est le pied. Parents et enfants gigotent sur les bancs, tout le monde a la banane, les musiciens s’amusent, SoCalled joue avec le public, danse, rigole, fait des tours de magie, et la chanteuse Katie Moore a une voix d’ange.
Ce parcours était une bulle de chaleur et de bonne humeur dans l’humidité ambiante, un vrai plaisir : merci.
Dans le même registre, on aura pu découvrir Great Mountain Fire en set acoustique dans une petite Église perdue dans la nuit et la campagne. L'occasion d'entendre une autre facette du travail de la formation, qui a justement préparé en résidence avant le festival cette transposition de son album Canopy. Un moment précieux d'apesanteur, de lenteur, de beauté cultivée, dont le public est ressorti avec un sourire conquis. Le Festival des Nuits Secrètes, c’est aussi ça : l’accompagnement des artistes dans leur recherche. Et c’est bien.
Pour ceux qui ne sont pas de l’escapade, le spectacle continue sur la scène du Jardin. Annoncé par certains comme "le meilleur groupe de rock’n’roll de Dublin", The Minutes étonne.
Certes, ça n’est pas beaucoup plus que du rock garage efficace pour radio FM, mais le trio est agréable à regarder : la main baladeuse, le leader chatouille la basse de son acolyte d’un doigt humecté très subtil, et il vient sans cesse chercher un public qui va finir par s’étoffer après un déluge sans nom sur leur sympathique "Fleetwood".
L’ambiance sur scène est au tripotage, la musique pas désagréable, et le tout donne un côté presque suave, inattendu et, en fait, "inentendu", mais c’est cette impression qui restera.
À peu près au même moment, mais sur la Grande scène, les Néo-Zélandais d'Orchestra of Spheres gratifient le public d'une prestation originale – pour ne pas dire "foutraque" : instruments impossibles, bricolés à la main, tenues fantaisistes, compositions alambiquées et super énergiques, influences on ne peut plus diverses (du rock et de la musique traditionnelle polynésienne, du jazz et de l'expérimentation disco débridée...). On l'aurait peut-être aimé plus planant, mais on aura au moins été entraîné.
Retour au Jardin, on circule dans la ville et les concerts nous baladent autour du monde : on part au Burkina Faso ! La démarche de Stef Kamil Cartens (ex dEUS) au sein de Zita Swoon Group s’apparente un peu à celle d’un Damon Albarn, sans l’ego. Le collectif polymorphe fonctionne comme une troupe ouverte sur toutes les cultures, qui cherche à créer une musique vraiment actuelle en se jouant des codes de la "world music". Ici il nous présente son dernier album Wait for me, enregistré avec un duo burkinabé.
Un peu en deçà de ce que l’on imaginait sur papier, le résultat est quand même loin des clichés, les percus se faisant parfois juste caressantes, laissant toute place aux autres instruments africains et aux voix du belge et de Awa Démé, qui semblent parler un même langage.
Même sans être emballés, on est reconnaissants à ces tessitures, ces couleurs, ces personnes, de réchauffer un peu nos petits pieds transis et trempés.
Après s’être empiffrés d’une gaufre liégeoise bénie des dieux, on va jeter une oreille à Baxter Dury.
Le plein air et le son crachottant lui réussissent. Il y laisse un peu de sa préciosité, ses chansons gagnent à être plus sales, même si ça ne suffit pas à faire de "Claire" un titre écoutable. Et puis il faudra penser à couper l’image aussi, parce que ses pauses de dandy, bon, ça va un temps.
Pendant ce temps, Orelsan termine son set sur la Grande Scène, et il faut voir la joie des gamins et autres adultes venus voir grandir un Aurélien disponible (séance d’autographes sympa avant le concert, en marge de la Grande Scène) et traducteur fidèle des questionnements de notre temps.
Don Rimini boucle la soirée de la Grande Scène et ça ne se rate pas. Grosse motivation ! On n’est pas déçus. Par l’ouverture. La monumentale structure d’où le Don nous octroie sa leçon est un brin mégalo, mais passons, c’est la mode chez les maîtres DJ (voir Étienne de Crécy il y a 2 ans aux Nuits Secrètes, et aussi DeadMaus, Axwell…). Le son monte, c’est puissant, on se dit là, plongeon transe, c’est parti pour une grosse heure… et puis non. Le set manque de légèreté, il est monotone. Avons-nous passé l’âge ? N’avons-nous pas assez bu de bière "Spéciale Nuits Secrètes" ? Le public n’est peut-être pas réceptif ? Toujours est-il qu’au bout de 45 minutes, on déclare forfait et on rejoint le Jardin.
Grand bien nous en a pris ! Battles est sur scène. Leur musique est impressionnante et inattendue.
En coup de vent, elle peut évoquer une forme d’électro sophistiquée. En fait pas du tout : c’est le batteur qui est cybernétique. Il "est" sa batterie, il fait corps avec elle. Un animal replié sur sa machine, John Starier (ex Helmet) hypnotise avec ses rythmiques math-rock : complexes, parfois dissonantes mais complètement accessibles, évocatrices, elles composent d’étranges mélodies organiques.
Avec Ian Williams à la guitare et aux claviers et Dave Konopka à la basse, ils forment une hydre sonique tant ils fonctionnent comme un seul homme au service de ce miracle. Parfois complété par les voix de Gary Numan ou de la chanteuse des Blonde Redhead, par le biais de vidéos sans fioritures, le résultat est juste jouissif, le public subjugué ; Battles, you made my day. C’était leur avant-dernière date avec ce set, vivement le prochain, qu’on vibre à nouveau.
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