Ecrivain multi récompensé, poète et professeur de littérature francophone à Los Angeles, Alain Mabanckou s'est prêté - avec succès - à l'exercice imposé autour de la date fatidique du vendredi 13 qui donne son titre à une collection thématique des Editions La Branche.
Avec "Tais-toi et meurs", il livre plus qu'un polar, un vrai roman et un roman doublement noir avec le destin tragique d'un jeune Congolais, Candide moderne poursuivi par la scoumoune de son patronyme de naissance qui signifie "ennuis", qui serre le coeur mais laisse passer un rai d'espérance. Julien Makambo, devenu José Monfort par la grâce de faux papiers reçus tout naturellement au pays par DHl envoyés par le père du fils de sa soeur, débarque en règle à Paris dans un pays encore auréolé du mirage de l'eldorado.
Cadeau inespéré mais empoisonné car il atterrit dans la pègre congolaise, véritable mafia fondée sur la hiérarchie des âges à l'africaine, le respect de l'âge et du droit d'aînesse, qui pratique des lois biaisées, telles "la reconnaissance dure jusqu'à la mort de celui qui a bénéficié d'un service", paraissant encore plus contraignantes que celles de sa consoeur sicilienne.
Et bien que titulaire d'un baccalauréat en lettres et philosophie, obligé de travailler pour subvenir aux besoins de la famille après la mort de son père, Julien Makambo, qui n'appartient pas à "ce type de Nègre de l'époque coloniale à qui il fallait tout expliquer par des synonymes" et qui se dit "sans prétention... au-dessus de la mêlée, intellectuellement parlant, dans leur communauté", va se faire avoir comme un bleu.
Et cependant, c'est peut-être lui qui brisera la spirale infernale en sachant dire non au "grand-frère" pour prendre son destin en main fut-il funeste. De la tribu du studio de la rue de Paradis à la prison de Fresnes en passant par le marché Dejean à Château Rouge et Montreuil-sur-Bamako, sa vie suit un inéluctable cours tragique jusqu'au point d'orgue où, un vendredi 13, missionné pour attendre sur le trottoir en costume couleur diabolo menthe, histoire de ne pas passer inaperçu, une femme blanche et blonde défenestrée atterrit à ses pieds.
Alain Mabanckou déroule le court apprentissage et la cavale de son (anti)héros sous forme d'un percutant journal-récit rédigé en prison dans lequel il aborde les sujets qui peuvent fâcher car il ne prêche pas pour l'angélisme africain.
Ainsi il dépeint sans concession la diaspora plébéienne congolaise soumise de fait à la main mise des parrains que sont "Ba koko ya", les Grands-pères de Paris, venus au beau temps de l'émigration florissante, Moussavou et Shaft éminents faussaires qui en monnaie qui en papiers d'identité, qui reproduisent et maintiennent hors frontière la société d'influence qu'est la société congolaise.
Il aborde également l'économie parallèle où billets de cent euros valsent comme des petits pains christiques, le ressentiment post-colonialiste érigé en signe identitaire qui entraîne le non respect des lois françaises, lois de l'ancien état colon, et la pratique du vol considéré comme un juste dédommagement pour le pillage des matières premières nationales ("... alors voler les français c'est comme nous faire rembourser !")
et le péché mignon des Congolais inféodé au mouvement de la Sape, la Société des ambianceurs et des personnes élégantes.
Et il pleure sur les désillusions de ceux qui, au pays, se voyaient "cadors" et doivent affronter la dure réalité, comme Willy mécanicien qui croyait en remontrer chez Renault ou Citroën et qui avait fini par des petits boulots à la sauvette avec les Maliens de Montreuil, et sur l'ambition lénifiante d'une certaine jeunesse pour qui le but ultime en venant en France est de "porter de beaux vêtements et descendre au pays pendant la saison sèche pour impressionner la population".
A mettre absolument dans la sélection de la rentrée littéraire. |