Les groupes Portishead, Craig Armstrong ou Alpha n’auraient probablement pas existé sans celui de Paul Buchanan, The Blue Nile. L’album Hats, ce chef-d’œuvre sorti confidentiellement à la fin des années 80, je l’avais acheté pour une bouchée de pain chez un disquaire de Lille, à une période de ma vie où j’y passais mon temps plus que de raison (le disquaire dont je parle n’existe plus aujourd’hui, il a été remplacé par un magasin de fringues : je ne passe jamais devant sans un petit pincement au coeur).
Sur les quatre albums de The Blue Nile, c’est celui-là qui m’aura le plus marqué. J’y entendais la gravité de John Cale sans la froideur ; la profondeur mélancolique de Portishead sans la tristesse ; la lenteur et le dépouillement de Craig Armstrong sans le côté easy-listening (je rappelle que c’est grâce à l’album The Space Between Us de Craig Armstrong, sorti en 1997, où se trouve une reprise de l’immense "Let’s go out tonight" de l’album Hats, que The Blue Nile est sorti de l’ombre pour acquérir un petit succès critique dans la presse musicale).
Le premier album solo de Paul Buchanan, Mid Air, contient ces mêmes éléments, mais le dépouillement et l’épure ont progressé (peut-être un peu trop mais nous n’en tiendrons pas rigueur). Passé la joie de retrouver cette voix amie, on pèse le pour et le contre. Il faut du temps pour que ces chansons évanescentes (pour ne pas dire "aériennes", ce qui serait une métaphore facile et honteuse) nous laissent une empreinte, aussi petite fût-elle. Pendant une trentaine de minutes on parvient difficilement à saisir l’insaisissable. Cette musique statique décourage la mémoire. Plusieurs écoutes ne suffisent à épuiser cet art de l’immobilité, ni cette maîtrise de l’espace − et cela ne nous déplaît pas. Pour l’explorer, cette lenteur, il faut compter sur la durée, donc sur la patience.
D’aucuns persistent à ranger la musique pop dans la catégorie des "musiques faciles". Cette idée reçue disqualifie une série de groupes qui méritent bien plus que ce genre de désignation (je pense donc à The Blue Nile, mais aussi aux Nits). Il faudrait un jour travailler en profondeur ce concept de pop, et voir les résonances qu’il entretient secrètement avec la musique classique. |