Le Erik Truffaz Quartet sort son dixième album en quinze ans sur le mythique label Blue Note Records. Après le Nu Jazz drum'n'bass des débuts, le son est devenu plus rock. Les collaborations avec des chanteurs d'origines diverses se sont succédées. Après Sophie Hunger, c'est une autre suissesse, Anna Aaron, qu'Erik Truffaz invite sur son nouvel album El Tiempo De La Revolución. Nous retrouvons donc le quartet et Anna Aaron au Centre Culturel Suisse, rue des Francs-Bourgeois dans le Marais, d'abord pour une session dans des conditions absolument excellentes, puis pour parler de ce temps de la révolution.
Considérez-vous que votre musique s'apparente encore au jazz ?
Erik Truffaz : Dans le dossier de présentation du dernier album par le label, j'ai fait modifier "groupe de jazz" par "groupe de pop instrumentale", ça correspond plus à la musique. Ce qu'on a conservé du jazz, c'est d'abord le fait de jouer ensemble lors de l'enregistrement et d'improviser. Mais les racines de notre musique ne sont plus seulement jazz, on y trouve aussi beaucoup de pop.
Anna Aaron chante sur trois chansons du dernier album. Qu'apporte-t-elle, elle, en particulier ?
Erik Truffaz : Elle apporte d'abord son talent. Elle a un grain de voix particulier. Elle a aussi un sens de la mélodie et de l'harmonie très fort. Elle a d'ailleurs composé un morceau qui est sur l'album. C'est une jeune chanteuse très talentueuse.
Je pensais aussi que le fait qu'elle soit née à l'étranger et que son travail se nourrisse de cultures métissées serait quelque chose que vous apprécieriez chez elle, comme dans vos collaborations précédentes avec des artistes d'horizons divers.
Erik Truffaz : Bien entendu, mais ce n'est pas pour cela qu'on l'a choisie. La rencontre s'est effectuée lorsque notre manager a fait écouter une démo à Marcello (Giuliani), notre bassiste, pour qu'il produise l'album d'Anna. Il a donc produit l'album. Moi, j'ai enregistré sur un morceau de son album. Le contact est bien passé. Elle a assuré des premières parties pour nous. On a d'abord tendance à enregistrer avec des gens avec qui on a eu des aventures musicales. C'est là que se trouve le sens de notre collaboration.
Les musiciens avec lesquels on collabore sont aussi des personnes avec lesquelles on a des affinités politiques. J'entends politique au sens de la manière dont on voit la vie, dont on se comporte vis-à-vis d'autrui, dont on appréhende l'autre, les frontières, le partage des biens... C'est peut-être pour cela que nous travaillons avec des artistes qui sont dans la même lignée ou ont une certaine filiation entre eux.
C'est ainsi qu'on revient donc au titre de votre nouvel album.
Erik Truffaz : "El Tiempo De La Revolución" exprime, bien entendu, une ligne politique, mais il parle aussi des révolutions qu'on effectue au niveau personnel tout au long de sa vie. Durant l'enfance, l'adolescence, et aussi à l'âge adulte. Enfin c'est un clin d'oeil à Ennio Morricone.
Avec le titre de l'album, on s'attendrait à des sonorités plus hispanisantes, voire à du chant en espagnol.
Erik Truffaz : Non. Les titres des albums ont d'abord des vocations poétiques. Marcello avait proposé d'appeler l'album "Le temps de la révolution", mais je trouvais que ça faisait trop Mélenchon. Ça ne me faisait pas rêver. Or on était en Espagne, j'ai alors eu l'idée de ce titre. Il ne faut pas y voir un hommage à la révolution au Chili ou à Cuba. Et d'ailleurs je me méfie des révolutions.
Ce soir, Benoit Corboz a joué uniquement au piano. En est-il de même sur l'album ?
Erik Truffaz : Non, pas du tout. Il a un orgue Hammond dont il manie les effets de manière incroyable. Mais pour la session acoustique, il n'a joué que du piano. Sur le disque, c'est lui qui fait tous les sons de nappes synthétiques, tous les sons électroniques.
Comment se présente la tournée ? Anna Aaron vous accompagnera-t-elle ?
Eric Truffaz : On n'emmène pas Anna sur toutes les dates. Il y a des pays où nous sommes économiquement faibles. Lorsqu'on va jouer au Canada et à New York, nous rentrons à peine dans notre budget. Par contre elle nous accompagnera sur toute la tournée européenne.
Question vie pratique. Avec des concerts aux quatre coins du monde, à quelle fréquence changez-vous de passeport ?
Erik Truffaz : Je le change environ tous les 2 ans. J'ai deux passeports, un pour les pays arabes, et un pour pouvoir aussi me rendre en Israël.
Comment se fait-il que le passage à l'Olympia de Paris se fasse seulement en avril 2013, soit près de six mois après la sortie du disque ?
Erik Truffaz : C'est d'abord une affaire de stratégie. Pour avoir du temps pour vendre les billets, et ensuite pour relancer l'album. Tu sors le disque, tu fais de la promo et pour qu'on parle de nouveau de toi dans les médias, c'est bien d'avoir une grosse date quelques mois plus tard. C'est difficile en tant qu'artiste d'être mis en avant, ce qui te permet de vendre des disques. Tout va très vite, c'est pour cela qu'il faut réfléchir à une stratégie.
La musique reste-t-elle un bon moyen d'échange entre les hommes malgré les différences de nationalité, de culture, de tradition ?
Erik Truffaz : Notre musique cherche à créer de l'émotion, or l'émotion n'a pas de nationalité. Il y a quelques semaines, on a joué avec une chorale sud-africaine. Lorsque quelque chose de positif se passe, comme avec eux, ça transcende tout. La nationalité. Les classes sociales. Et pourtant on aurait pu avoir la même émotion en jouant avec des esquimaux. C'est pour cela que les concerts marchent bien. Les gens viennent recevoir une dose d'émotion, sortir de leur quotidien.
Quant aux rapports entre musiciens, j'ai enregistré, il y a quelques années, un album à Calcutta avec des indiens. Lorsqu'on travaille la matière musicale, les codes sociaux, culturels s'effacent. On se retrouve juste dans la musique.
Le jazz continue à avoir une image élitiste. Le remarquez-vous au niveau de votre public ?
Erik Truffaz : Nous jouons peu dans les festivals de jazz, plutôt dans des festivals ou des salles de rock. Certaines fois nous passons aussi dans des petites salles jazz et c'est très bien. Mais nous intéressons peu les programmateurs de jazz intellectuel. A leurs yeux, nous faisons de la variété. Ça fait maintenant 15 ans qu'on a signé chez Blue Note. Notre public, maintenant, s'étale en terme d'âge. Je signe souvent des autographes pour les parents qui étaient des fans au début.
On sait que Louis Armstrong avait des problèmes physiques à force de jouer de la trompette. Connaissez-vous aussi ces symptômes ?
Erik Truffaz : La trompette, ça use les dents. C'est le seul problème que j'ai.
Et pourquoi la trompette ?
Erik Truffaz : Mon père jouait du trombone et il avait besoin de quelqu'un pour l'accompagner pour aller jouer dans les bals. C'est pour ça que, tout petit, j'ai appris la trompette.
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