Spectacle conçu et mis en scène par Árpád Schilling, avec Andor "Marci", Balázs Casandra, Dumitru Karim, Bel Kacem, Vincent Brayer, Emilie Combet, Cédric Djedje, Lionel Dray, Fragan Gehlker, Nina Nkundwa, Frédéric Noaille, Lucas Partensk,y Thomas Perrier, Viivi Roiha, Elisa Ruschke, Spartacus Ursu et Vittecoq.
Pour apprécier le travail d'Arpad Schilling, il faut sans doute connaître et accepter ses parti-pris : partant du chaos du monde, mélangeant vidéo, théâtre et cirque, procédant par saynètes entrecoupées de vraies et de fausses interviews, il considère le théâtre comme un forum, un lieu où l'imprévu a sa place, un lieu où le public doit participer à la construction de la réalité proposée, et ne l'envisage surtout pas comme le vecteur d'un récit uniforme et univoque.
Il y aura donc pour le spectateur des hauts et des bas, des moments de tension et d'attention suivis de périodes plus flottantes, plus contemplatives.
Dans "Noéplanète", les éléments qui se succèdent ne procèdent pas forcément sur le ton d'une dramaturgie qui va crescendo. Une scène de ménage commencée en vidéo s'achève sur le carré blanc qui occupe une partie de la scène et le rapport vu sur l'écran sera contredit par ce que produira la partie théâtrale. Les personnages vus en vidéo peuvent ainsi quitter l'écran pour retrouver l'espace scénique, et réciproquement.
La vidéo elle-même alterne des constructions différentes, peut passer de la fiction au documentaire, se transformer en une simple caméra de surveillance, être bien présente ou totalement absente.
Elle peut être le support de la scène théâtrale qui suit ou la contredire. Dans "Noéplanète", règne l'aléa, le hasard. Il faut être sur ses gardes. Penser qu'on est peut-être revenu aux temps où l'on aurait parlé de "théâtre postmoderne".
En tout cas, certains moments fonctionnent, notamment ceux où l'on évoque le sort des Roms, où les spectateurs peuvent interroger le personnage de chair et de sang qu'on a vu précédemment dans sa petite caravane sur l'écran vidéo...
Pareillement, le couple encordé qui s'enlace acrobatiquement dans les airs est l'occasion d'une belle séquence poétique. Quant à certaines saynètes aux thématiques pleines de troubles érotiques et de tensions raciales, elles rappellent parfois le théâtre de Koltès.
Évidemment, on trouvera que l'utilisation d'un processus digne de la télé-réalité pour le final est un peu décevant. Reste qu'on assiste avec "Noéplanète" à une tentative de réelle interpénétration de la vidéo et du théâtre. Une interpénétration où, pour une fois, la partie vidéo est de qualité au moins égale à la partie théâtrale.
Au bout du compte, si le spectateur sait puiser à l'intérieur du magma poétique multiforme proposé par Arpad Schilling, s'il sait jouer avec les multiples codes qu'il utilise, il se retrouvera dans un monde moins déconstruit qu'en attente fébrile de reconstruction.
Un monde qui pourra peut-être faire l'économie du déluge s'il redécouvre le chemin du langage et les routes de l'esprit.
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