Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Octave Mirbeau conçu et mis en scène par Jonathan Duverger, dit par Natacha Amal.

Un spectacle étonnant est présenté actuellement au Théâtre de l'Ouest Parisien. "Le journal d’une femme de chambre".

Qui ne se souvient du film de Luis Bunuel où la lippe dédaigneuse de Jeanne Moreau, travestie en bonniche improbable, traversait l’écran comme des ciseaux ?

Le metteur en scène Jonathan Duverger, loin des libertés prises par le réalisateur espagnol, est revenu au plus près du texte incroyablement fort et dérangeant d’Octave Mirbeau. C’est une idée forte que cette fidélité travaillée et exploratrice.

La France, à la Belle Epoque. De toutes les provinces, des jeunes filles à placer convergent vers Paris, dans l’espoir d’échapper à la misérable vie à horizon unique des champs. Marie - ce n’est pas son vrai prénom mais depuis Molière on sait que Picard ou Toinette sont plus faciles à retenir que Bixente ou Gwenaëlle - découvre avec émotion les toits de Paris, les lumières clignotantes de la capitale : même sous les toits, le regard peut s’envoler, l’espoir est possible.

Plus bas, aux étages nobles, il y a les maîtres, les pères, les fils, à chacun son désir mais la bonne doit être bonne à tous. Et puis, il y a Madame, à laquelle il n’est pas hélas plus demandé de satisfaire personne et qui se venge en vérifiant la poussière.

Marie n’est pas malheureuse parce qu’il y a Paris. Et tout va se dérégler, à un changement de place, quand la servitude apparait toute nue dans un trou de province où le silence joue aux échecs avec le désespoir. Le cœur de la servante va se déchirer en découvrant subitement que l’avenir c’est maintenant et que rien ne changera jamais.

Mirbeau, anticonformiste authentique, patriote qui déteste le nationalisme, Dreyfusard acharné, dépeint les affres de cette âme trompée par ses rêves, conçue au-dessus de ses origines, dans un monde dur, certes, mais avec des formes qui éviteront de la blesser un temps, monde qui n’est pas moins âpre aujourd’hui .

Eclairée par Jonathan Duverger, la force du propos surprend, dérange, remue. Et son choix d’une comédienne atypique, racée, bouleversante, convainc.

Natacha Amal incarne cette femme de chambre avec, d’abord, une retenue qui évoque sa condition, puis une fureur qui la dénonce, et enfin un paroxysme d’amour proche d’une extase religieuse. La scène d’amour avec le jeune maître phtisique est sublime d’horreur et de beauté confondues dans la volupté.

Mirbeau n’est pas un auteur convenable, heureusement non, que non ! La domestique atteint l’infini, quitte bourgeois et mansarde, brûle, se brûle. La comédienne a tout offert.

Le journal s’arrête brutalement. Le noir se fait. La lumière tarde à remonter. Fin d’acte magistrale.