Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Albert Cohen dit par Roxane Borgna dans une mise en scène Jean-Claude Fall et Renaud Marie Leblanc.
Voilà une entreprise hardie, comme toujours s'agissant d'une oeuvre littéraire et qui plus est, en l'espèce, compte tenu de sa notoriété, s'agissant d'un monument de la littérature française du 20ème siècle, que porter au théâtre, sous forme d'un monologue, des extraits de "Belle du Seigneur", grand prix du Roman de l’Académie française 1968, livre culte de Albert Cohen.
Pari réussi pour Jean-Claude Fall et Renaud Marie Leblanc, à la mise en scène, et Roxane Borgna, au jeu, parce qu'ils ont su éviter l'écueil du résumé synthétique pour se concentrer sur un personnage, un espace chronologique et une thématique.
En effet, dans ce roman à la fois roman d'amour emblématique et roman de l'anti-passion, oeuvre controversée en ce qu'elle détruit, de manière circonstanciée par l'épreuve du quotidien, le mythe de l'amour éternel et l'espoir insensé qui préside à la naissance de tout amour, une des quêtes essentielle de l'homme, et développe le caractère consomptible de la passion, Roxane Borgna, qui est à l'origine de la projet, a puisé les fragments qui illustrent la naissance de la passion amoureuse telle qu'elle est ressentie et sublimée par la "belle".
La rencontre de Solal est une révélation totale : la belle Ariane découvre tout, l'amour, la passion, la sensualité partagée, la sexualité du corps et le don absolu de soi à celui qu'elle reconnaît comme son "seigneur".
Au désintérêt pour les choses de l'amour, et au dégoût de "l'acte" avec un mari comparé à un chien qui s'échine sur un morceau de viande, succède la révélation fulgurante de la passion transcendante et la célébration du corps avec l'amant qui lui fait découvrir les baisers-fruits et les plaisirs du corps qu'elle finit de réclamer jusqu'au "sacre" coïtal.
Sur un plateau plongé dans le noir absolu, une baignoire, une forme immergée, un corps, et une masse de cheveux flottants. Ariane est une femme qui usait et abusait du bain. Roxane Borgna s'est plongée dans le verbe d'Albert Cohen.
Elle en émerge comme une Vénus plus pré-réaphaélite ou romantique que boticellienne. Elle évoque l'Ophélie représentée par le peintre John Everett Millais ou celle immortalisée dans le bronze par Auguste Préault. Une femme dans l'intime et dans l'intimité du bain, avec cette eau source de vie, ou une ressuscitée ? De la métaphore polysémique de la baignoire.
Dans son jeu, point de complaisance, de sur-jeu, de minauderie, d'exacerbation d'une nudité qui transparait à travers la longue chemise blanche que l'eau rend translucide.
Belle comédienne lumineuse à la fascinante fraîcheur juvénile, Roxane Borgna reprend à son compte les soliloques d'une femme sensuelle devenue une adorante et porte sa parole amoureuse à l'incandescence qui caracole au gré de profusion puissante d'une pensée vivante éminemment charnelle.
Une prestation exceptionnelle à la hauteur de la partition originale. |