Comédie de Pierre Corneille, mise en scène de Anne-Laure Liégeois, avec Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Alain Lenglet, Florence Viala, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Clément Hervieu-Léger et Benjamin Lavernhe.
Une pièce de l’illustre Corneille jamais jouée au Français et la curiosité, déjà, de s’aiguiser...
Sur "La Place Royale" (Place des Vosges, de nos jours) un jeune homme fantasque, Alidor, qui se pique de philosophie et prône le détachement, désire de tout son cœur la belle Angélique, qui l’idolâtre en retour. Celle-ci fréquente Phylis, coquette qui aime l’amour en se laissant aimer et intrigue pour le compte de son nigaud de frère, Doraste qui convoite aussi Angélique, bien maladroitement.
Alidor expérimente de faire épouser Angélique par son ami Cléandre : libre, détaché, il mesurera la force de son sentiment. Piquée au vif, désabusée, la belle Angélique se retire dans un couvent. Le philosophe parcourt ses ruines, privé de sa belle, avec la satisfaction perverse d’avoir maîtrisé son destin.
Œuvre profonde dans sa légèreté, sombre, annonçant étrangement les délices macabres de "Liaisons dangereuses" pourtant bien lointaines, cette pièce offre une vraie belle surprise.
Anne-Laure Liégeois, metteur en scène, a imaginé de transposer cette "Place" à l’époque moderne, avec des costumes contemporains. Le décor évoque à la fois un vestiaire et une salle d’attente de gare (les cloisons ressemblent à des wagons éclairés) qui deviennent une salle de bal, lorsque l’action l’impose.
Pour laisser la langue française agir de tous ses sortilèges, les personnages sont poussés à l’extrême : vieux beaux étriqués, mâles dérivants, dames pratiquant des prises de judokas, tapant sur leurs amants devenus "hommes battus", tout cela sur une musiquette des années soixante, avec une irruption de ce son totalitaire, issu de l’anglais, qu’est le globish, mais le parti-pris fonctionne à merveille et le texte en ressort dépouillé : Corneille traverse modes et temps.
Denis Podalydès incarne Alidor, avec une faconde, une légèreté qui ne cèdent en rien à la noirceur de ce philosophe hédoniste, voyeur, manipulateur, moderne dans son amoralité, qui joue avec les âmes pour évaluer la sienne. Le grand Poda excelle dans ce rôle, tenant sa salle, qui vibre à ses assauts en retenant son souffle.
Autour de lui, Florence Viala, en Angélique, et Elsa Lepoivre, en Phylis, tiennent leur place, sensibles, puissantes, avec, parfois, des excès de violence censés les rendre plus agissantes là où le texte les accompagne déjà dans cette voie. Mention spéciale à Clément Hervieu-Léger, toujours étonnant, qui joue un frère timide et agressif, mauvais garçon des beaux quartiers. Eric Génovèse et Alain Lenglet sont très bons également.
Un très beau spectacle, où le français est dit comme nulle part ailleurs, avec des comédiens exaltants, une scénographie qui fait mouche. C’est royal et c’est la Comédie-Française. |