Pour l'hiver 2012, La Fondation Cartier pour l'art contemporain se place sous le signe du pays du sourire en proposant la première exposition monographique en France de Yue Minjun qui, d'ailleurs, a adopté le (sou)rire comme leitmotiv d'une oeuvre picturale révélée au public européen en 1999 par la Biennale de Venise,
Considéré comme l'un des représentants majeurs du mouvement du Réalisme cynique qui a émergé au début des années 1990 en Chine, il est également devenu en 2007, avec le récent engouement pour
l'art contemporain chinois, une star internationale du marché de l'art
avec une oeuvre négociée près de 4 millions d'euros.
Sous l'intitulé "Yue Minjun - L'ombre du fou rire", Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier et commissaire de l'exposition, a réuni une sélection de peintures de grand format, voire monumentales, et de dessins préparatoires qui ressortissent au registre de la satire et révèle une écriture picturale singulière qui, par un processus de syncrétisme de l'art chinois et de l'art occidental, revisite les codes du grotesque.
Yue Minjun :
le fou rire, de la catharsis à la résistance
Les oeuvres de Yue Minjun sont immédiatement identifiables dans la mesure où elles reposent sur une récurrence visuelle résultant du choix d'une unique figure narrative par ailleurs déclinée, et parfois répliquée, de manière immuable avec une mimique identique, celle du rire, un rire à gorge déployée toutes dents dehors, qui par sa reproduction devient un rire figé, celui du masque.
Le procédé d'identification sérielle évoque celui pratiqué par son condisciple Fang Lijun, un des fondateurs du Réalisme cynique, qui a choisi comme véhicule un chauve fictif à la peau jaune qui peut adopter diverses expressions, du cri au sourire.
Mais Yue Minjun
a opté pour l'autoportrait, avec cheveux en sus et peau rose vif, une marque d'auto-ironie qui illustre également un narcissisme ( "Je voulais devenir une star, une forme dans la peinture") et une stratégie ("Je voudrais que l'on se souvienne de moi dans l'histoire de l'art comme d'un artiste qui a créé une icône") au demeurant assumés.
Et, peut-être en résonance symétrique avec le sourire du boudha, avec son factotum pictural arbore le sourire polysémique, rire de résistance et de défi, rire de façade pour ne pas pleurer, rire exutoire et d'impuissance.
L'art syncrétique de Yue Minun tient à l'hybridation étonnante entre l’imagerie populaire chinoise, et son kitsch post-révolutionnaire, le détournement des chefs d'oeuvre del'art occidental à la manière du Nouveau Réalisme et l'esthétique pop cartoonesque avec ses couleurs vives et le rendu graphique de l'illustration qui était aussi celui du Réalisme socialiste.
La plupart de ses oeuvres, si elles étaient réduites au format de la vignette, pourraient s'apparenter à des dessins d'actualité politique
car elles sont essentiellement satiriques.
Satire sociale du contexte social chinois contemporain qui n'échappe pas aux dérives du monde moderne.
Et notamment de la mondialisation avec son corollaire, l'uniformisation.
D'où la propension au mimétisme ("Everybody connects to every body") et à l'enthousiasme communicatif ("Great joy") et pourtant indifférents à l'autre ("Bystander" devant un homme qui se noie les passagers d'un bateau immortalisent l'événement avec leur appareil photo), embarqués dans une même galère ("Monument).
Satire politique ironique avec les illusions de l'avenir radieux du socialisme (les petits Minjun, tels le Nils Holgersson de la romancière suédoise Selma Lagerlöff, volant sur le dos non d'un jars mais d'une grue, avec sa symbolique, dans la culture chinoise, de monture des Immortels dans "Sky", les visages hilares de "Sunrise" et "The sun" regardant le lever du soleil).
De même la série "Memory" sur la propagande maoïste et le culte de la personnalité dans laquelle les crânes ouverts servent de piscine à Mao Tsé-Toung ou de distributeur du Petit Livre Rouge.
Satire politique mais également protestataire - même si elle n'est pas revendiquée comme telle par l'artiste - contre la répression militaire avec "Gweong Gweong" les avions lâchant sur les protestataires des bombes à forme humaine.
Yue Minjun oeuvre alors par le biais du détournement satirique de la peinture d'histoire, de sa grandiloquence et de son caractère officiel qu'il s'agisse des peintures officielles chinoises telle "The founding ceremony of the Nation" de Dong Xiwen expurgée de ses figures historiques ou des oeuvres occidentales ("Tienamen remains")
Ainsi, pour la toile inspirée du "Massacre de Chios" de Delacroix, ou "Execution", qui reprend le thème pictural classique du peloton d'exécution par Goya ou Manet.
Dans ses dernières oeuvres en date, la série "Overlapping", les autoportraits sont brouillés, déformés, anamorphosés, voire disparu : une évolution vers l'expressionnisme abstrait ? A suivre. |