C’est lors du dernier jour du Pitchfork Music Festival début novembre que nous rencontrons Roman Rappak, le chanteur de Breton. Enfin rencontrer en interview plus précisément car nous nous étions déjà croisé et avions discuté informellement ensemble à Metz. Avant de donner leur dernier concert Parisien, Roman nous parle de son rapport au public, du BretonLabs et comme c’est quelqu'un d’avenant, il nous propose de faire l’interview en français et tiens, d’où lui vient cette aisance pour parler français ?
Roman Rappak : C’est bizarre parce que j’en ai parlé avec un ami hier ! C'est une raison assez compliquée, mon père est un peu francophile et il nous a envoyé dans une école française à Londres qui n’était pas loin de son bureau. J’étais avec ma petite sœur hier et elle, parle couramment français, elle est resté au lycée Français tout le long de sa scolarité, moi je n’y suis resté que la moitié, c’est pour cela que j’ai un accent. J’ai fait la moitié de ma scolarité entre école française et école anglaise à Londres et c’est juste génial. En même temps, c’est étrange d’avoir une relation comme cela, un véritable mélange des cultures. Cela fait complètement partie de ma vie, tu voies ? Je ne suis pas assez Anglais pour me sentir anglais, je me sens chez moi un peu ici et un peu à Londres. C’est la même chose avec la musique.
Tu as vécu à Paris ?
Roman Rappak : Non je n’ai pas vécu à Paris. On a déménagé en Pologne quand j’étais petit pendant quelques années, j’ai grandi un peu là-bas, et naturellement j'y étais aussi un étranger. J’ai passé deux années dans une école française aussi en Pologne et dans une famille Anglaise. Donc tout cela fait un immense mélange. Et c’est pareil avec la musique. J'aime bien écouter du hip-hop, je ne me sens pas comme quelqu’un qui écouterait juste de l’électro ou quelqu’un qui serait juste producteur chanteur ou guitariste. C’est le mélange qui m’intéresse je pense.
On va parler du BretonLabs, enfin on va aussi parler du prochain album... Allez-vous encore y travailler ? L’utiliser ?
Roman Rappak : Ce qui est bizarre, une nouvelle partie de l’histoire que nous avons découverte il y a deux semaines, c’est qu’après voir enregistré notre premier disque là-bas, après y avoir répété et après y avoir tourné tous les films, fait des fêtes, des concerts on a appris que le Lab allait être détruit. On va être viré dans deux semaines et tout va être détruit. Alors nous sommes forcément très déçus mais c’est une nouvelle histoire, un nouveau chapitre. Ce qui était super dans le Lab, c’est que nous n’avions pas d’argent, personne pour nous aider, et c’était incroyable parce que cela faisait office de studio, de salle de répétition. On y faisait tout. La location du bâtiment était presque gratuite. Du coup, on a sorti un album et il y a eu des réactions que l’on n’avait pas vraiment prévues. Maintenant, on a plus d’argent, etc. mais en tout cas cela va changer beaucoup de chose.
Comment as-tu vécu tous ces changements en un an ?
Roman Rappak : J’avais toujours l’idée que si je jouais dans un groupe, ce ne serait pas un métier. Pour moi le rêve, c’était d’être un artiste. De ne pas travailler dans un magasin ou derrière un bureau. S’échapper d’une vie normale. Se réveiller le matin et réfléchir à quelque chose sans être interrompu par des horaires ou autre chose.
Etre libre ?
Roman Rappak : Oui oui. Et là, j’ai l’impression que nous avons quitté le monde normal. Nous n’avons plus le temps de voir nos amis à Londres. Nous sommes dans un petit groupe et on fait presque tout ensemble. On fait de la musique. Si quelqu’un regarde un film, il en parle aux autres et on en discute. Nous sommes devenus une famille. Mais être une famille, ce n’est pas toujours facile. On se connait vraiment et donc si on connait les points positifs, on connait aussi les points négatifs. A la base nous pensions être un simple groupe comme les autres mais la lumière mise sur le disque a tout changé. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est que notre musique puisse toucher autant de gens d’une manière aussi brutale, virale. Cela donne l’impression que nous n’avons pas créé quelque chose mais que l’on fait partie de quelque chose. Nous sommes à la base mais on fait partie du mouvement.
Au moment où vous travailliez sur votre premier disque, vous aviez composé plus d’une centaine de chansons. Allez-vous les utiliser ?
Roman Rappak : Non non, je ne veux surtout pas que le prochain disque ressemble à une mixtape où tu choisirais différentes périodes d'écriture ou différents styles. Un album où on prendrait des morceaux par-ci, par-là pour reconstituer un faux puzzle. Je veux recommencer et faire un album qui soit composé de manière classique. Pour moi, Other People’s Problems je voulais que cela soit comme une palette de sons et de textures et maintenant, on peut utiliser les thèmes et les formes que nous avons explorés.
Est-ce que Breton est uniquement un groupe de musique ou est-ce plus un collectif artistique où le cinéma et l’artwork, etc. ont une place extrêmement importante ?
Roman Rappak : Oui, naturellement cela fait partie de nous. Pour moi la meilleure chose au monde, c’est de créer quelque chose et quand tu fais de la photographie, du cinéma ou quand tu composes une musique, tu essaies de t'exprimer dans une langue qui est un peu abstraite et c’est incroyable d’y arriver. Et quand ça marche avec le public, c’est génial parce que ce n’est pas forcément un langage commun à tout le monde. Tout a commencé avec des films, puis du sound design et ensuite on a sorti l’album et avec le disque, on a vraiment trouvé un moyen de diffuser nos idées très très rapidement. Si tu fais un film, cela prend beaucoup de temps, il faut au moins six mois pour faire un court-métrage, aller dans des festivals et cela prend vraiment beaucoup de temps pour ne pas toucher en plus beaucoup de monde.
Alors que la diffusion de la musique est beaucoup plus rapide que cela soit avec les divers réseaux sociaux ou Bandcamp, par exemple ?
Roman Rappak : Oui exactement et c’est étrange parce que c’est un mécanisme qui est vraiment vieux en fait. Déjà dès les années 50 avec le Jazz ou le Blues puis avec le punk, tout était tellement honnête et vitale que l’on se posait moins de questions, tout allait plus vite, il y avait une immédiateté évidente. Si tu voulais faire du punk, il suffisait d’apprendre deux accords et d’aller acheter une guitare pas chère et tu pouvais t’exprimer rapidement. Alors même maintenant avec internet et les plateformes multimédia, on parle de diffuser des idées, ce qui reste le plus spontané c’est la musique. Et la musique est un véhicule qui permet de diffuser bien d’autres choses…
Est-ce que tu peux imaginer un jour de faire un film ?
Roman Rappak : Oui.
Même d’arrêter la musique pour te consacrer à d’autres arts ?
Roman Rappak : Arrêter la musique non, c’est impossible. Mais si demain on rencontre des gens qui nous proposent plein de choses intéressantes, si quelqu’un vient nous voir en nous demandant de travailler sur un projet comme dernièrement une dessinatrice de mode alors on le fera.
C’est le film que vous aviez posté sur Facebook (NDLR : le film s’intitule Still et fait avec la créatrice de mode Georgia Hardinge et disponible sur Viméo ou YouTube) ?
Roman Rappak : Oui, tu l’as vu ?
Oui !
Roman Rappak : C’est vrai que l’on s’y croise parfois ! En tout cas avec elle, on a eu une idée un peu folle de jeter une danseuse dans l’eau. On voulait tout filmer dans le Lab, on savait quel genre de caméra utiliser, quel genre de couleurs, quelle musique on voulait faire avec… et trois jours plus tard, on a rencontré l'équipe de production et cela a pu se faire presque directement sans attendre des semaines.
C’est un peu le problème en ayant un relatif succès, plus de renommée et plus d’argent peuvent vous permettre de faire des choses plus facilement avec de plus gros moyens mais d’un autre côté, vous êtes plus attendus…
Roman Rappak : C’est toujours le problème. Avant on faisait tout nous-même parce que nous n’avions pas d’argent. Avant nous n’aurions jamais pu faire le film dont je viens de te parler. Il y a vraiment des gens qui nous suivent financièrement maintenant et cela permet beaucoup plus de choses. C’est donc nettement plus facile de trouver des éditeurs ou des producteurs.
Vous avez fait beaucoup de remixes mais vous vous voyez produire d’autres artistes ou en tout cas aider d’autres groupes ?
Roman Rappak : Oui pour nous, c’est extrêmement important ! Tu voies par exemple si on découvre quelqu’un qui fait des photos, que je trouve son travail intéressant que cela me touche alors il faut l’aider. Parce que nous avons de la chance d’être là, de faire ce que l’on aime, pas que nous pensons que nous écrivons les meilleures chansons ou que nous ayons les meilleures idées et que tout cela est normal, c’est juste qu’il y a eu des dizaines de coïncidences, il y a des gens qui ont cru en nous, et nous on souhaite redonner tout cela. C’est tellement facile pour nous de mettre sur Facebook un lien, une vidéo, une chanson d’un artiste que l’on aime, cela ne nous coûte rien…
Et cela fait une bonne publicité…
Roman Rappak : Oui et c’est vraiment très important de vouloir partager tout ça. C’est l’une des raisons si nous faisons de la musique ou des films, c’est pour partager. Tu voies en ce moment j’adore le garage, le Two Step Garage, du garage Old school, c’est un peu une célébration de ce que j’aime dans la musique, c’est direct.
Partager est quelque chose qui te correspond bien, je trouve. Cela se ressent sur votre façon d’être sur scène, votre rapport avec le public. Mais aussi en dehors des concerts, rencontrer le public...
Roman Rappak : Merci ! Le monde de la musique a changé. La facilité de faire de la musique, de la produire et de la diffuser. Facebook permet de découvrir en un lien des chansons et d’en discuter, Spotify permet d’écouter des milliers d’artistes dont tu ne trouves pas forcément les disques près de chez toi, Twitter permet d’apprendre qu’il y a un concert secret, tu peux faire toi-même assez facilement des remixes, tu peux écrire sur YouTube que tu aimes ou pas cette vidéo, etc.
Et la relation avec les gens qui viennent te voir a complètement changé aussi à cause de cela. Et cela se voit cette relation avec les artistes. Ce n’est même pas quelque chose d’interactif, c’est presque organique. Avant tu avais les grandes compagnies qui décidaient de tout maintenant le public, les gens qui écoutent ta musique peuvent interagir directement. Si je vais après les concerts voir le public, c’est aussi pour le rencontrer et le remercier d’être venu, d’aimer ce que nous faisons. Nous ne savons réellement jamais si ce que nous faisons va plaire, c’est un peu du chaos pour nous, et si des dizaines de personnes disent "nous avons vraiment aimé cette chanson" alors je veux vraiment savoir pourquoi.
Cela me fascine, ce rapport, cette interaction je ne veux vraiment pas être une personne fermée dans une tour d’ivoire. Si nous existons, c’est parce que des gens viennent à nos concerts, achètent et écoutent nos disques, c’est la moindre des choses de donner en retour… |