Gaspard de la nuit est l'unique recueil de poésie d'Aloysius Bertrand. Publication posthume d'un poète mort dans la misère, ces Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot sont souvent considérées comme le lieu de l'invention du poème en prose et l'une des œuvres les plus influentes du dix neuvième siècle. Rien de moins. Elles ont d'ailleurs inspiré Ravel et Magritte eux-mêmes. Elles se composent d'une suite de tableaux, scènes bucoliques et fantastiques, où pullulent créatures merveilleuses et heures délicates. On voit tout le poids du choix d'un tel pseudonyme...
Pour son quatrième album, Gaspard LaNuit rebranche son rock-poétique sur le deux cent vingt volts. La plume se veut littéraire, acérée, cœur vibrant du projet. Hélas, trois fois hélas, il est des filiations qui sont peut-être trop grosses à assumer. Si La trêve reste un bon album, il peine à s'élever à la délicatesse évocatrice, symboliste, romantique, onirique de son modèle.
Cirque gothique, carnaval existentialiste, farandole quelque peu grinçante, désabusée – l'artiste louche ici vers des ambiances à la Tom Waits ou Nick Cave ("The carny"...), fort recommandables parrains. L'album compte même quelques pièces inspirées (plutôt dans sa seconde moitié : "Je ne suis plus" en tête, qui s'autorise un peu à déborder) ; mais on en reste dans l'ensemble à une ritournelle pop polie et propre sur elle.
Il semble manquer à l'ensemble un peu de laisser-aller, un peu d'emportement. Trop conscient de lui-même ou trop concerné par l'idée de bien faire, Gaspar LaNuit offre un joli disque appliqué – quand on aurait aimé qu'il ose la réinvention, après s'être noyé dans des noirceurs réelles ; qu'il se fasse clochard céleste, clown-samouraï, vagabond superbe : personnage, riche et profond.
Souviens-toi, Gaspard : on ne lave pas la poésie ; un poète, ça sent des pieds. Certainement tes pieds à toi sont-ils encore affamés, avides de manger un peu tes chaussures, tout au long d'une route longue. |