Qui va voir un concert de Stupeflip sait à peu près à quoi s'attendre : insultes au public, pas plus d'une heure de show, c'est aussi pour ça qu'on les aime. Du moins croyait-on.
Ce groupe aux allures de communauté religieuse, que les initiés appellent plus souvent Stup ou le Crou, voire la Menuiserie, fédère ses ouailles autour d'un son rap rock à l'esprit contestataire mais pas dénué de contradictions. Sur les albums, la rébellion brute de King-Ju alterne avec les ballades de pop-hip la face fluo de Ju, Cadillac et quelques autres oeuvrant dans l'ombre aux platines et guitares électriques. Bref, cliente, contente de les voir. Du moins croyait-elle.
Dans la grande salle de l'Aéronef, les fervents sont là, vêtus des t-shirts du groupe, moyenne d'âge 20 ans. Bon.
Fondu au noir, projection d'un visage qui annonce que "le Crou refuse cette série de concerts", qu'il "n'est pas d'accord avec la tournure que semblent prendre les choses". Bien.
Les membres encagoulés comme des Créatures du lac prennent place. Ça ne prend pas tout de suite, mais bien vite ça sent la sueur et la pelouse qui part en fumée, ça gueule "A poil !" ; les titres à la gloire du Stup et les plus tournés vers l'enfance, les monstres, l'argent s'enchaînent, mélange des trois précédents albums ainsi que du dernier Terrora!!, le tout repris en choeur par la foule embrumée.
Ce sont bien eux, le public pogotte (stylo tombé aucune crainte, on est tellement serrés qu'il reste à portée de main, dans les plis du voisin), on travaille des genoux et des cervicales, on perd sa voix dans la bagarre ; mais quand même c'est un peu lisse tout ça, non ?
Une conversation entendue nous éclaire. Reporter "embedded".
"C'est le meilleur concert que j'ai vu.
- Pourquoi ?
- Ben je sais pas, c'est la religion, quoi ! (sic, si, si)
- On dirait du Clan Campbell.
- Retire ce que tu viens de dire."
Ah mais il a raison le jeune ! Rien à voir avec l'inscription en faux en "onestpasdesvendus" de la vidéo du début, ils font le taf, merdre, que leur arrive-t-il ?
Après 1h30 de concert (?!), l'impression reste mitigée : pas mal, bien sûr, mais manque de crasse, malgré la "caisse claire qui claque" malgré "A bas la hiérarchie" qui fait toujours son effet ; c'est qu'ils vieillissent les gars, faut pas croire que le showbize conserve.
Interlude : On nous annonce une "Soirée Crou Club" dans 5 minutes. Qu'est-ce qu'ils vont trouver pour finir ? La mise à mort de pop-hip, toujours annoncée, toujours reportée ? Un peu de second degré que diable !
Et non, au contraire : enfonçage de clou dans le vide. Un dj nous fait profiter de ce qui est sans doute "la discothèque idéale de Julien Bathélémy et ses amiches". Rien de moins.
On a droit à toute une série de rap US des grands jours, du Wu Tan Clan, du Snoop Dogg, aussi du Klub des Loosers mais aussi quelques titres de Stupeflip, dont certains déjà joués live, le groupe se joint au dj, King-Ju finit sa bière, finit les phrases, on vous dérange ?
La salle se vide, des petits tas de jeunes vont et viennent, se croient à la maison, ça discute dans les coins, reluquent, dragouillent. Ils ont bien raison, c'est la surprise-party à l'Aéro, une chambre d'ado en grand, trop cool, kikoulol, si vous voyez ce que je veux dire (moi-même n'en suis pas sûre).
Quel intérêt de faire ça pendant 1h15 ? Ils se targuent de refaire notre éducation musicale ? Les Saintes Ecritures de la Genèse du Stup ? En ce cas, ils n'ont finalement pas perdu toute foi en la possibilité de passer un message en concert. Mais on ne peut pas dire que l'auditoire soit réceptif. Et puis finir sur "Les Corons" de Pierre Bachelet, sérieusement…
Autant retrouver "Les Monstres" et "35 animaux morts" dans sa petite chambre à soi ; de quoi jeter l'éponge et la cagoule en tricot avec l'eau du bain. |