Texte de Louis-Ferdinand Céline dit par Jean-François Balmer sous la direction de Françoise Petit-Balmer.
Dans le "Voyage au bout de la nuit", Ferdinand Bardamu, double littéraire de Louis-Ferdinand Céline, s'en va-t-en guerre, avant de partir découvrir l'Afrique, les États-Unis avant de revenir en France pour devenir médecin au Rancy dans un dispensaire.
Jean-François Balmer se plonge dans l'écriture de Céline, son rythme, sa langue, mélange de langage parlé, d'argot et de Racine. Il interprète ce jeune homme, engagé en 1912, blessé en 1914, démobilisé, paradant sur les boulevards parisiens une médaille à la poitrine avant de s'effondrer dans la terreur.
"A vingt ans, je n'avais déjà plus que du passé. Les jeux étaient faits". Traumatisé par la guerre, Céline raconte son dégoût de l'humain. Ses mots sont des fulgurances comme autant d'explosions qui affolent le pauvre gars effrayé au fond d'une tranchée.
L'adaptation de Nicolas Massadau dure 1h30. Fluide, elle reste fidèle à la trame du roman même si elle appuie plus spécifiquement sur le traumatisme initial des combats armés. Elle reprend la critique sociale faite par Céline de la guerre, le colonialisme et la condition ouvrière. Son Bardamu est à la fois dégoûté de tout et de tous, mais rit de la dimension infiniment tragique de l'individu et de la petitesse de ses princes.
Derrière la scène, par la magie des images de Tristan Sebenne et de la lumière de Nathalie Brun, les nuages s'amoncellent. Il y a toujours une lueur d'éclaircie, un trou à travers ces nuages qui changent imperceptiblement de forme et pourtant semblent immobiles. Mais l'obscurité domine, et Bardamu s'y enfonce, presque avec jouissance.
Face à ce qu'il y a de plus sombre, il relève l'incongru, ce qui ne va pas chez les autres. Parce qu'avant tout, il est persuadé de sa supériorité, il n'y a pas de raison pour apaiser la tension orageuse de son for intérieur. Les dangers et les menaces de la grâce, de la beauté, de l'échange et même de l'amour lui sont insupportables, sauf peut-être lorsqu'il rencontre Molly.
Jean-François Balmer a souvent joué les salauds au cinéma, mais son Bardamu en est-il un? Il interprète celui qui fut aussi le médecin des pauvres avec une gouaille tout de suite identifiable.
Dirigé par Françoise Petit-Balmer, son épouse, il évolue sur un plateau souvent vide, hormis un lit de camp ou un bureau. Selon la scène, ses traits paraissent plus ou moins marqués. Dans la quatrième partie, lorsque Bardamu est revenu en France, Jean-François Balmer, vêtu d'une veste d'intérieur, semble vieillir d'un coup.
C'est un véritable caméléon, identifiable au premier regard mais dont les traits semblent se modifier au fur et à mesure que se déroule la pièce. Acteur génial, seul en scène, il porte avec puissance ce chef-d'oeuvre de la littérature sur ses épaules.
Jean François Balmer est impressionnant, et la langue célinienne d'une véhémente et vénéneuse beauté.