Le Centre Pompidou consacre aujourd'hui la première exposition rétrospective française consacrée au travail de Bernd et Hilla Becher.

Héritiers de la tradition photographique, documentaire et encyclopédique d’Eugène Atget, August Sander, Albert Renger-Patzsch Walker Evans, chefs de file du très vivant courant documentaire allemand , dont la quasi-totalité des membres tels Andréas Gursky, Candida Hofer, Thomas Ruff ou Thomas Struth, ont été leurs élèves à l’École des Beaux Arts de Dusseldorf, Bernd et Hilla Becher photographient des bâtiments industriels depuis plus de 40 ans.

Leur travail correspond à un projet descriptif et systématique de recensement par la photographie des bâtiments industriels impliqués dans l’industrie minière.

Ils ont ainsi mené un travail unique de recensement, par la photographie, de ces bâtiments, selon un dispositif photographique invariable, et de classement en séries typologiques qui constituent un témoignage précieux d'une architecture industrielle vouée à la ruine et à la destruction.

Ciel ! direz-vous. Que viens-je faire dans cette galère ? Voir d'austères photographies de hauts fourneaux et autres hideux batiments industriels ne semble guère attractif ! Et bien détrompez-vous ! Car ce travail de mémoire temporelle est soutenu par une vision artistique strictement conceptuelle, celle des "structures anonymes"(*). Bernd et Hilla Becher ont d'ailleurs reçu le prix de sculpture de la Biennale de Venise en 1990 pour leurs photos.

L’exposition s’articule autour des séries typologiques de bâtiments industriels et comporte une salle centrale consacrée aux paysages industrielles et au complexe minier de Zollern II. En effet, les Becher ont commencé par faire un inventaire de maisons d'ouvriers puis des installations industrielles du bassin de la Ruhr.

Cette salle permet de voir des usines in situ qui constituent de véritables "paysages industriels" dont certains sont édifiants et presque fantasmagoriques tel celui de la fonderie de Betlehem aux USA qui comporte 3 plans, de haut en bas, la fôrêt, l’usine puis le cimetière. Certaines usines ressemblent à de rudimentaires forts gaulois, d’autres à des abbayes (faisant penser à l’abbaye de Kylemore en Irlande) ou des chalets à colombages.

Par ailleurs, les photographies de la mine montrent la cité ouvrière, à la manière fouriériste, des ateliers aux logements d’ouvriers ressemblant à des relais de chasse presque somptueux, qui constitue un vaste ensemble architectural appartenant désormais à un passé révolu.

En ce qui concerne les séries, la structure est appréhendée selon un protocole photographique strict et invariable, toujours en noir et blanc, au centre de l’image, isolée de son environnement. De manière à ce que l’œil ne soit pas distrait de l’objet photographié, tout autre sujet est banni. La recherche de la subjectivisation exclut toute présence vivante. L’environnement immédiat est réduit à sa plus simple expression visuelle (ciel couvert uniforme et gris, végétation hivernale, absence d’ombre et de relief).

Cette technique permet, d’une part, d’appréhender une structure dans sa globalité, que sa monumentalité ne permet pas de saisir par l’œil, et, d’autre part, de créer des oeuvres artistiques sui generis.

Mais ces photos ne sont pas montrées de manière isolées. Elles sont regroupées par ressemblance ou différence en compositions de neuf ou quinze, à la manière d’une collection entomologique, par typologie et par formes esthétiques ce qui met en évidence la diversité de formes et des déclinaisons.

Les chevalements avec leur grande roue de fête foraine, les hauts fourneaux, enchevêtrements tubulaires à la Eischer, les fours calcaires qui ressemblent à des termitières ou à des pagodes, les donjons moyennageux des tours de réfrigération montent la garde, les orgues de silos, les usines de traitement en forme de chalets suisses ou d’hôtel thermal et puis les chateaux d’eau mirador, ovni, roundtower celtique, clocher gothique, tour du moyen age ou chapeau d’église orthodoxe…pour des usines témoins de leur temps, des témoins qui aujourd'hui ouvrent les portes de votre imaginaire.

'(*) Pensez à visionner le documentaire diffusé devant l’entrée de l’exposition qui permet non seulement de comprendre la démarche intellectuelle de Bernd et Hilla Becher mais donne également de précieuses indications pratiques sur leur technique photographique.