Fable épique de Bertolt Brecht, mise en scène de Fabian Chappuis, avec Jean-Patrick Gauthier, Florent Guyot, Stéphanie Labbé, Benjamin Penamaria, Agnès Ramy, Boris Ravaine, Jean-Christophe Laurier, Marie-Céline Tuvache, Elisabeth Ventura et Eric Wolfer.
Pour sa dernière création en date avec sa Compagnie Orten, "Le cercle de craie caucasien" de Bertold Brecht, dont il assure la mise en scène et à conçu la scénographie, Fabian Chappuis présente un travail exemplaire aux partis pris résolus et assurés avec une belle et véritable troupe de dix comédiens, qui incarnent une cinquantaine de personnages, et la tendre marionnette conçue par Sébastien Puech.
Une belle réussite par l'investissement des acteurs et leur énergie de jeu pour le plaisir du théâtre en partage - rappelant au spectateur d'aujourd'hui que Brecht était avant tout un homme de théâtre comédien, metteur en scène, auteur et directeur de troupe - et par une approche fidèle à l'esprit du texte qu'un judicieux discernement conduit à resserrer la partition originale sur ses thématiques fondamentales, à l'élaguer de personnages surnuméraires et à limiter le pilon du didactisme militant au profit, comme Fabian Chappuis l'indique dans sa note d'intention, d'un spectacle "qui repose essentiellement sur l'émotion".
Dans cette fable épique, humaniste et politique qui plaide que " la terre appartient à celui qui la cultive, comme l'enfant à celle qui l'élève", Bertold Brecht aborde notamment la légitimité du droit au sol par une parabole de l'amour maternel déclinée sur celle du jugement de Salomon et l'éveil à la conscience politique de l'homme plébéien à travers deux parcours initiatiques parallèles.
Ce sont les deux lignes de force retenues pour leur résonance contemporaine par Fabian Chappuis qui raconte le destin bouleversé de Groucha, la jeune cuisinière qui a recueilli l'enfant abandonné du gouverneur destitué par une révolution de palais, et celui de la crapule Azdak écrivain public proclamé juge par le peuple, qui use des mêmes procédés que son prédécesseur, incompétence et corruption, mais au bénéfice du pauvre.
De l'émotion donc, mais également de l'ironie, du comique et du grotesque, en adéquation avec le mélange de registres pratiqué par l'auteur.
En revanche, Fabian Chappuis opte pour le dépouillement scénographique, usant simplement de la combinatoire géométrique et spatiale de deux plans inclinés en bois blond, déplacés à vue et sans altérer la dynamique narrative, qui, avec les belles lumières de Florent Barnaud, symbolise efficacement les différents lieux actantiels.
Les comédiens évoluent dans des costumes dont la simplicité formelle et intemporelle n'a d'égal que l'originalité et l'inventivité flamboyante des couvre-chefs, créés à partir de détournement d'objets du quotidien par le plasticien Philippe Fargeas, qui matérialisent la classe ou la fonction de leurs personnages et apportent une vision esthétique unique au spectacle.
Tous les comédiens jouent au diapason de la choralité et concourent à la réussite de ce spectacle soutenu par la bande son de Cyril Romoli. Notamment dans les rôles du gouverneur tyran et de son épouse imbécile, Eric Wolfer et Marie-Céline Tuvache réalisent de savoureuses compositions.
Et mention spéciale à Florent Guyot, qui campe un excellent Azdak, à la fois bouffon louvoyant et ambigu et inquiétant et insaisissable feu-follet, et à Stéphanie Labbé au jeu intense et dépouillé de tout artifice qui fait de Groucha une figure lumineuse et bouleversante d'humanité. |