Avec "XY", titre aussi connoté qu'ambigu, Sandro Veronesi poursuit son exploration des recoins ténébreux de l'âme humaine.
Il livre un nouvel opus qui, à l'instar de l'histoire qu'il raconte, plonge le lecteur dans l'univers sombre et inquiétant du fantastique, et plus précisément du réalisme magique, sous couvert d'une intrigue de roman d'énigme policière.
Dès le premier chapitre au titre éloquent - "Le destin n'est pas invisible" - il installe l'atmosphère particulière à ce registre littéraire, celle d'inquiétante étrangeté, qui repose sur les thématiques de la peur, l'angoisse métaphysique, le mal et la folie.
Tout commence au fin fond de la péninsule italienne, dans une minuscule bourgade enfouie sous la neige du Trentin, avec la découverte d'une hécatombe semant l'épouvante : tous les touristes, sauf une petite fille miraculeusement épargnée mais disparue, venus admirer une statue de la Vierge à l'issue d'une promenade en traîneau ainsi que le conducteur qui est un homme du cru sont retrouvés morts.
La particularité tient au fait que chaque personne a été tuée de manière différente comme pour illustrer un catalogue de la violence suprême. Des morts tellement étranges, inquiétantes et inexplicables, de surcroît avec une mise en scène spectaculaire que, pour éviter le déferlement médiatique macabre et la panique dans la population, les autorités classent très rapidement l'affaire en l'érigeant en attentat terroriste mis au compte d'un anonyme groupe fondamentaliste islamique proche d'Al-Qaïda.
Seul le curé de la paroisse, un ancien missionnaire venu au secours d'une paroisse en déshérence qui entretient des relations difficiles avec la foi, car placée sous les auspices de Saint Judas Thaddée, qui pâtit de l'homonymie avec l'apôtre traitre, et voit les villageois terrifiés s'exiler et le mental de ceux qui restent profondément affecté, ne renonce pas à élucider le mystère.
Il décide de mener l'enquête en s'adjoignant l'aide d'un médecin psychiatre et psychanalyste du service hospitalier territorial.
Le hasard, mais le hasard existe-t-il ?, veut que le médecin de service ce jour-là soit une jeune femme qui, au moment même que se déroulaient les homicides, se réveillait couverte du sang d'une ancienne blessure à la main datant de quinze ans qui venait de s'ouvrir spontanément à l'identique à l'instar d'un stigmate de prédestination. Une coïncidence troublante sur laquelle la jeune femme avait bien évidemment cogité et qui l'amène à accepter immédiatement la demande du prêtre.
Fort de la conviction qu'un grave danger continuait de planer, le mal absolu, oeuvre satanique ou châtiment divin d'un Dieu "dans la splendeur de sa gloire toute-puissante", ce dernier est persuadé que "tout ce que nous essaierons de faire ensemble, là, dans ce lieu où nous étions en train de nous retrancher, était indispensable pour le conjurer".
Composé notamment de la mise en parallèle et en perspective des monologues intérieurs des deux protagonistes qui, sans qu'il n'y ait la moindre romance entre eux, ressentent une attirance profonde telle une fraternité spirituelle, ce roman qui pourrait n'être qu'une enquête diligentée par l’homme de Dieu et la spécialiste de l’inconscient, Freud et le goupillon, quitte, imperceptiblement, grâce à la puissance de l'écriture de Sandro Veronesi, le domaine de la réalité et du réel pour une autre dimension, celle du sur-réel.
Et l'irrationnel, la croyance judéo-chrétienne, le rationalisme cartésien et l'intuitif des sciences cognitives convergent par des démarches différentes vers la même conclusion.
Fascinant et troublant, ce roman magistral agit par sidération. Il remet en cause les certitudes et conduit le lecteur dans des contrées aussi inhabituelles qu'étranges et inquiétantes qui sont celles de l'âme humaine. |