Les Editions du Seuil procèdent à la réédition de deux romans épuisés à la vente de Dominique Sylvain, "Vox" et "Cobra" publiés au début des années 2000.
Une initiative judicieuse pour les lecteurs en manque de ces deux opus d'une auteure de romans policiers qui, depuis 1995, ne déçoit jamais et s'est imposée au panthéon du polar noir français dans un registre et un style aux antipodes de celui de Fred Vargas avec qui elle constitue les figures de proue de la collection Chemins nocturnes des Editions Viviane Hamy.
"Cobra" forme avec "Vox" un diptyque saisissant autour de deux enquêtes menées dans la foulée par la même équipe de la Brigade criminelle et, stylistiquement, de la déclinaison singulière du genre du thriller avec, pour autre dénominateur commun, la construction atypique de l'intrigue.
Dans ces deux romans symétriques, si "Vox" entraîne le lecteur à la poursuite d'un meurtrier pathologique obsédé par certaines voix féminines et les nanotechnologies, "Cobra" repose sur un des mobiles classiques du meurtre, celui de la vengeance.
Et ce n'est rien déflorer que de l'indiquer puisqu'il est clairement dévoilé dès le premier chapitre qui scelle
le début d'une entreprise longuement mûrie et préméditée par celui qui signe "Cobra" en lettres de sang et qu'il mène avec l'agressivité du cobra qui feint très bien le sommeil comateux. Car là ne réside pas l'enjeu de l'enquête qui porte non seulement sur l'identification du coupable mais également à la découverte de l'événement déclencheur enfoui dans le passé.
Un chapitre qui commence par une ode aux vertus de la téquila servant de leurre pour un empoisonnement à la strychnine qui entraîne une mort particulièrement atroce dont se délecte l'assassin.
Habilement, et machiavéliquement, Dominique Sylvain y délivre deux indices majeurs - la victime, directeur d'un grand laboratoire pharmaceutique a été chercheur à l'Institut Pasteur spécialiste, entre autres, de la fabrication de sérum anti-venimeux et la signature du meurtrier - qui semble circonscrire le champ d'intervention, celui des scandales médico-pharmaceutiques particulièrement d'actualité au début des années 2000.
Toutefois, cela demeure sans réelle utilité pour résoudre l'énigme, le coup de génie de l'auteure étant de prendre le contrepied de la démarche habituelle qui consiste à élaguer progressivement la liste des suspects. Car l'entourage de la victime se révélant un vrai nid de serpents, cette liste ne cesse de s'allonger et ne se réduit qu'à la faveur d'un nouvel assassinat.
Le lecteur a beau s'évertuer comme le cher vieil Hercule (Poirot) au brainstorming de ses petites cellules grises, il se perd en conjectures et ne bat pas sur son terrain la dame qui tient une plume qui trace de nombreux chemins de traverse. D'où un suspense garanti.
L'enquête est menée par le "groupe Bruce" de la Brigade criminelle menée par Alexandre Bruce et principalement par ce dernier et la capitaine Martine Lewine dans un climat tendu en raison de leur brève liaison intervenue hors champ, entre les deux enquêtes, à l'issue de laquelle ils ont du mal à trouver leurs marques et rétablir une relation de confiance.
Point de romanesque romance chez Dominique Sylvain qui néanmoins, en l'espèce, creuse leur psychologie pour en tracer des portraits attachants l'un comme l'autre pour des raisons différentes.
Psychologie encore, et sans manichéisme, pour tenter d'approcher sinon explorer, sans pédanterie, l'âme humaine, la frontière ténue entre le bien, le mal et le fantasme avec laquelle flirtent quasiment tous les protagonistes et comment l'impossible résilience de la perte peut conduire à la haine meurtrière.
|