"Du bleu sur les veines" de Tony O'Neill s'inscrit dans le registre de la "Dope Fiend" par laquelle la génération née dans les années 70 d'obédience néo-romantique à la Pete Doherty continue de creuser le sillon de la descente dans l'enfer de la drogue.
Cette énième déclinaison autofictionnelle, avec rédemption par l'amour, ne ressortit ni du cynisme cocaïnomaniaque de la
fiction Blank Generation, ni de l’off-noir du "serial-fucker borderline" stigmatisant les laissés pour compte du rêve américain manière Mark Safranko ("Travaux forcés") ou du neo-beat de Dan Fante en rupture de ban suite à la douloureuse confrontation avec l'illustre figure paternelle ("La tête hors de l'eau")
de la génération précédente mais du sordidisme de papy Selby.
Car les états d'âme constituent la portion congrue d'un road-book qui décrit essentiellement le quotidien factuel du junkie dans la tête duquel il ne se passe rien d'autre que la recherche et la consommation de drogue ("Tout ce qui m'importait c'était d'avoir de la came pour tenir un jour de plus") soit, entre deux shoots et délires ("Quand le sang gicle enfin, je pourrais pleurer de joie. Dans ces toilettes de Burger King, je suis en communion avec Dieu"), la fréquentation des endroits les plus glauques et immondes et des marginaux qui y ont élu domicile, "les junkies, voleurs, putes, rebelles, ratés, t-en-vrille, foutraques et dealers" qu'il cite dans ses "remerciements".
A la fin des années 90, à 19 ans, il est clavier dans un groupe dont la brève heure de gloire le conduit en tournée aux Etats-Unis qui commence comme un conte de fées ("On avait l'impression que le monde était à nos pieds. Je vivais dans un univers merveilleux, genre de la série télé avec les Monkeys et saupoudré de coke"), continue par le split du groupe et s'achève dans la toxicomanie.
De la maxime "Sexe, drogue et rock’n'roll", il ne restera que la drogue dans laquelle le narrateur va se plonger avec une détermination qui n'est pas tant soutenue par une finalité d'autodestruction que comme un moyen de s'extraire de la réalité ("la douce euphorie et la paix que l'on éprouve à se sentir déconnecté du monde") et d'oublier le "spleen" quasi incontournable de l'adulescent ("Comment survivre à l'ennui, l'angoisse et au mal de vivre sans quelque chose qui me fasse sentir que ça vaut le coup, que je suis connecté au reste du monde ?").
En effet, émigré à Los Angeles pour ne pas être un "has been" dans son Angleterre natale, son rêve de succès et de notoriété tardant à se concrétiser, il doit se résoudre à la rédaction d'articles pour un magazine musical et l'écriture de scénarios de clips qui lui assurent des revenus suffisants pour vivre mais qui s'accommodent mal tant avec son ambition qui se tourne vers la littérature qu'avec ce qu'il reconnaît lui-même être une "paresse congénitale".
De plus, il entre vite en relation avec une des bandes de fêtards dont regorge Los Angeles pour lesquelles, de bars en soirées avec des copains qui partagent bonnes adresses et bons plans, la consommation d'alcool et de drogue est indissociable d'une certaine culture de la fête sans fin.
Mais très vite, pour le narrateur, adepte particulièrement zêlé et frénétique, tout va s'emballer jusqu'à le conduire à ne plus travailler et à tâter de la "bombe H", l'héroïne par injection, qui le coupe encore davantage du monde ("L'héro est une drogue de solitaire : elle réduit le désir de rapports humains. Je vis béatement dans un cocon de plaisir en négatif") jusqu'à devenir une épave.
Trois ans plus tard, après revendication d'un choix de (non) vie ("...je suis fermement décider à passer tout mon temps à me défoncer à l'héro, que c'est mon choix"), constat de dépendance ("Je me sens pris dans un piège et au bout du rouleau") et tendance suicidaire, de retour en Angleterre, happy end grâce non pas aux N.A., les Narcotyques Anonymes qu'il voue aux gémonies tout comme leurs membres ni les médecins "qui font tout pour vous rendre la vie impossible", mais à Cupidon.
Tony O'Neill est sorti de l'enfer de la drogue. Que faut-il penser de son apologie de la drogue comme véhicule et expression de la liberté qui figure dans ses remerciements en exergue au roman ? : "Nous sommes les derniers réellement libres sur cette planète contrôlée par les flics et les hommes politiques pourris. Il est grand temps que tout le monde s'oppose maintenant à la guerre contre la drogue".
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