En sortant du Grand Mix, ce soir là, je me suis questionnée sur les deux personnages que je venais d’écouter, de voir : La Femme et Bonaparte. Les courants musicaux sont-ils d’éternels recommencements ?
D’abord, j’ai fait la rencontre de La Femme. Je croyais, avant de la retrouver, qu’elle serait seule sur scène, émancipée, brandissant sa brique féminine musicale quasi a capella ou femme-troubadour, multi-instrumentiste. Et puis ILS sont entrés sur scène. Fin fatale de la femme. La Femme est bien un groupe à part entière composé de plusieurs maillons. Ils sont trois claviers/parfois guitaristes et deux sections percussion. En tout et pour tout, il y a UNE femme, celle qui donne de sa voix. Mais pourquoi donc ont-ils choisi un tel nom alors ? Parce que c’est elle, qui tient la culotte ? Parce qu’il y a quelques décennies, la question de l’émancipation était en débat ? Ou peut-être est-ce parce que le groupe aime éperdument Gustave Courbet ? A l’heure où le monde de l’art éclate et fustige la thèse de Jean-Jacques Fernier : il a, semble-t-il, retrouvé la tête de "l’origine du monde", La Femme a, il faut bien l’avouer, été visionnaire en proposant en couverture de leur premier E.P. l’hommage délicieusement provocant de Courbet.
Mais depuis cet E.P., La Femme a fait de la route et sorti son premier album Psycho Tropical Berlin. Elle a donc la tête bien vissée sur les épaules mais pas de celle de la fin du 19ème siècle. Elle ressemblerait plutôt à une icône de mode des années 60. Même robe hypnotique, même coupe Playmobil, même mouvement de danse façon anguille. Est-ce une hallucination ou suis-je en train de voyager à travers les temps ? Le concert débute et mes hypothèses se confirment : on entre de plein pied dans leur machine à remonter le temps. 30 ans en arrière, feu Daniel Darc chantait "Monna" dans son groupe Taxi Girl, Etienne Daho chantait "Le grand Sommeil". La Femme aurait pleinement eu sa place dans les charts, parmi ces tubes.
La Femme est pourtant jeune mais a très clairement remis au goût du jour le genre pop à la française, entre claviers froids, boîte à rythme et guitare surf. Il n’y a pas à en démordre, l’ambiance que le groupe dessine sur scène est efficace. Le rythme est simple et entraînant : on frappe des mains, on dodeline de la tête, on tapote du pied. Les paysages sont hypnotiques, fantomatiques ou hawaïens. Et on y va même du thérémine ou du sitar pour fignoler l’ensemble. Je peux comprendre que les critiques adulent le groupe, qu’il y ait un public. Mais je n’accroche pas. Je souris du côté rétro, de la justesse hasardeuse des voix, des paroles conceptuelles et des humanoïdes, sur scène, qui se dandinent. Il n’y a clairement aucune émotion.
Alors quoi de neuf dans tout cela ? Je dirai pas grand chose : tout cela a déjà existé. Mais tout cela a été réadapté, réinvesti, construit et mérite de se bonifier avec le temps, de se transformer. Car si j’ai été un peu rude en live, je ne remets pas en cause l’esthétique de l’enveloppe musicale. C’est encore plus flagrant en regardant les clips du groupe. L’enregistrement studio y paraît aussi beaucoup plus net et juste. "Hypsoline" ou "2023" prennent tout de suite plus de consistance en images.
Et puis, j’ai rencontré Bonaparte.
Je suis entrée dans le hall, un type aux cheveux roses cherchaient des affiches : "c’est à moi qu’tu parles ?". Plus tard, sur scène, muni de son cache-oeil de pirate, j’ai compris que j’avais eu affaire à LE Bonaparte en personne.
Bonaparte, je le pensai despotique, vibrant, aboyant des ordres, seul, avec son armée de grognard. Apparemment, c’est presque cela... Derrière l’empereur se cache le suisse Tobias Jungt. Pièce maîtresse du groupe, il écrit seul, imagine seul l’ensemble, il est le leader... Mais, au fur à mesure, il s’est vite retrouvé entouré d’une troupe allemande variée, d’une vingtaine de personnes.
Tobias Jungt voulait faire ce qu’il aimait, une musique tirée au plus profond de lui-même, quasi divine. Le résultat en est déroutant. Comme il la désigne, c’est une musique physique, qui le transcende, lui, sa troupe et qui transcende le public. Lui et sa voix parfois Monthy Python-esque, chante des hymnes hédonistes, provocants voire révolutionnaires, comme l’illustre "Anti-Anti" ou encore Too much, sur punk electro-rock vibrant. Le dernier album s’intitule Sorry we’re open.
Mais le spectacle n’est pas qu’un concert de musique, c’est aussi une représentation théâtrale. C’est un tableau trash de la société, illustrant au mieux les pensées illuminées de Tobias. Les acteurs s’enchaînent et se déchaînent avec leurs costumes provocateurs. Seins nus, faux-sang, sexe, alcool et bonne bouffe. A ceux qui pensent au burlesque, faites attention à la colère de Bonaparte. Le groupe va bien au-delà. Chaque représentation est une sorte de photographie vivante, composée sur mesure pour chaque morceau. On peut la lire de manière superficielle et se dire que c’est barré. On peut y décrypter aussi de nombreux messages et se dire que c’est complètement barré.
On en revient à cette éternelle question. Quoi de neuf ? Bonaparte n’a pas révolutionné non plus la musique. Mais il a su redonner ses lettres de noblesses au théâtre musical et créer un univers visuel indissociable de sa musique. Les morceaux, en version studio sont étonnamment plus froids, plus électros. Le live donne un tout autre goût de l’ensemble : plus vif, plus démentiel, plus cathartique.
Je ne crois pas en la nouveauté de toute pièce, la nouveauté de rupture : le groupe révolutionnaire qui va chambouler tous les genres. Chacun pose sa brique musicale. Certains en posent une, voire plusieurs, d’autres en enlèvent, d’autres encore prennent celles du dessous pour les remettre au dessus. Et puis, un jour, quelqu’un passe par là et montre du doigt la construction d’ensemble. "Mais c’est génial !" dit-il en montrant la dernière brique.
Au final, La Femme et Bonaparte, en sont là. Mais à ceci près qu’ils font plus que jouer de la musique. Leur travail va au-delà : ils ont réussi à créer leur univers visuel qui leur colle à la peau et surtout à se révéler dans un personnage "universel".
Pendant combien de temps ? On verra s’ils tarissent avec le temps et les courants ou non.
|