Avec "La saison des prunes", l'écrivain camerounais Patrice Nganang traite de l'histoire de son pays au cours des années 1940-1942 à travers un roman à la plume épique, foisonnante et bouleversante.
Il constitue à la fois la chronique d'un village de brousse entre Douala et Yaoundé, l'annonce des premiers frémissements indépendantistes et, surtout, un hommage à des combattants oubliés, les Camerounais enrôlés dans le corps de militaires appartenant à l'Armée coloniale, connu sous le nom de "tirailleurs sénégalais".
Pour le Cameroun, ancienne colonie allemande placée sous administration française à la fin de la Première guerre mondiale, comme l'écrit l'auteur, "1939 ce n'est pas le début de la Seconde Guerre mondiale, mais la date écrite sur la façade de la Poste centrale".
Dans ce village insousciant, tout commence en août 1940, à la saison mirifique de maturité des fruits du safoutier, avec l'arrivée du colonel Leclerc missionné par le général de Gaulle qui considérait le Cameroun comme "le maillon faible de l'empire français en Afrique centrale, son talon d'Achille et son bras".
Est alors venu "le temps où son pays avait découvert, sinon le noeud de sa propre violence, plutôt celle du monde, et pour y répondre, avait jeté dans les routes du désert ses fils qu'on nommait alors tirailleurs sénégalais".
Leclerc s'autoproclame gouverneur et lève, dans ce pays bassa où les hommes sont de grande taille et corpulents, une armée d'indigènes pour traverser le Tchad qui a rallié la France libre afin de combattre les Italiens "planqués dans le fort imprenable de Koufra" en Libye.
C'est également l'année où le narrateur, le poète Louis-Marie Pouka, qui a vraiment existé, vient passer ses vacances dans son village natal où vit encore son grand-père géomancien et où il entreprend de fonder un cénacle de poètes. Il y retrouve des amis dont Ruben Um Nyobé, comme lui "rejeton que l'école missionnaire avait formé puis passé à l'administration française" qui deviendra le leader indépendantiste emblématique du Cameroun.
Pouka le lettré va prendre la plume pour rendre compte, pour témoigner et pousser le cri de douleur pour ses frères morts pour une guerre qui n'était pas la leur et qui n'ont été que de la chair à canon.
Car si la vie continue au village privé de nombre de ses hommes, qui devient plus que jamais le royaume des femmes, et à Yaoundé, pour qui comme dans tous les lignes arrières, la guerre était "une affaire de salon" se diluant "dans les jacassements, les débats, les joutes verbales, les réarrangements de personnes", il en va autrement sur le terrain.
Quelques volontaires, pour fuir une fiancée oppressante comme l'impétueux Bilong ou, pour le bucheron Hebga, évacuer une rage née avec le sauvage assassinat de sa mère, mais enrôlés de force pour la plupart, ils vont, pour la libération de Paris, traverser le désert du Sahara à pieds et sans chaussures et se battent dans "des combats du dix-neuvième siècle, des combats bibliques même en raison de la vétusteté de l'armement", armés simplement de leur coupe-coupe personnel.
Et peu désertent car ceux qui le firent "se rendirent vite compte d'eux-mêmes que le mot déserteurs n'était qu'une mauvaise blague, et qu'il valait mieux être tué par des fascistes qu'avalé vivant par la gueule du Sahara".
Et à la Libération, le général de Gaulle privera les survivants du passage sous l'Arc de Triomphe.
"La saison des prunes marque la saison des fruits de manière particulière ; ces prunes, que dans leurs cours de Gaulle mangera, ouvrirent la saison de ses récoltes heureuses, même s'il en jeta le noyau par la fenêtre de l'histoire de France".
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