Vous qui foulez pour la première fois la pelouse du Jardin du Michel, soyez prêts à revenir aux sources d'un festival fait maison, oubliez tout confort, chaussez vos bottes en plastique et vos bouchons d'oreille, sirotez avec modération – notre meilleur ami à tous – une 8.6. faussement ambrée, et appréciez de retrouver, dans ces champs recouverts de paille qu'un doux déluge imbibe sans ménagement, deux scènes imposantes et sûres.
Tout près, un train de marchandises passe. Un veau appelle sa mère. Un festivalier éternue.
Bienvenue au JDM, version 9.0.
Vendredi 31 mai – Déluge un jour, déluge toujours
Laura Cahen
Le JDM commence par une ironie du sort : la scène "alternative" n'est autre que "La Plage" des Eurockéennes de Belfort... Mais de temps estival, point. Au fond, tout au fond de la scène, bien cachée, commence à gratouiller Laura Cahen, découverte, entre autres artistes, des Inouïs du Printemps de Bourges. S'il est toujours difficile d'ouvrir un festival, les choses sont clairement compliquées par une absence totale ou presque, de public. La voix rugueuse et chaude - qui rappelle parfois, par certains accents, Raphaële Lannadère -, la voix aux inflexions superbement aériennes de Laura Cahen ne réussira donc pas à endiguer, tel est le mot, les trombes d'eau qui s'abattent sur Bulligny. Et cela est bien dommage car il eut été agréable de profiter plus avant de la musique et du swing de la demoiselle. Les câbles craquent, et les sourires entre les musiciens en disent longs : jouons, quoi qu'il arrive...
Roscoe
Inconnu au bataillon, ce groupe au line-up parisiano-belge propose une musique étiquetée "indie rock", plutôt complexe, aux ambiances très fines et à l'atmosphère tantôt planante, tantôt puissante. Mais le tout forme un set qui manque un peu de "punch" - ne faisant malheureusement que l'effet d'un pétard... mouillé, aux yeux et aux oreilles d'un public toujours clairsemé. Le son est, de plus, étrangement étouffé, alors qu'il est clair que la qualité musicale est au rendez-vous...
Tricky
Inévitablement, le set de Tricky rameute les foules détrempées. Un détour par le public s'impose : "Tricky, t'es trop vieux, Massive c'est fini !". Devant tant d'ingratitude, alors que le concert n'est pas encore commencé, que dire ? Il s'avère que le début du set, malheureusement, met en scène un Tricky qui semble trop en transe pour réellement emporter avec lui un auditoire pourtant impatient. Adrian Thaws tripatouille le cordon de son sweat, les yeux mi-clos, enchaîne des chorégraphies mécaniques et peine à motiver. Une, deux, trois chansons, puis viendra l'idée de "génie" qui sauvera l'honneur : dix, vingt, trente personnes montent sur scène, soudain, et là, le "mythe" reprend vie. On l'étreint, on l'embrasse, on se photographie avec lui sur son smartphone dernier cri. Il est clair que les ayatollahs ne retrouveront pas vraiment le goût ancien et doucereux des Massive Attack. Mais la chanteuse, Francesca Belmonte, brune ténébreuse les cheveux au vent, tient admirablement la route. Programmé trop tôt, Tricky ? On s'interroge. L'atmopshère où fusionnent trip-hop, rap, r'n'b et quelque fois rock, peine un peu à accrocher en cette fin de journée.
Nemir
Aïe. Si mes connaissances en hip-hop restent toujours à la limite du décent et de l'acceptable, ma passion pour la langue m'empêche trop souvent d'apprécier les textes des rappeurs quand ils sont en français – hormis La Gale, of course. Pour Némir, accompagné de Gro Mo, comment ne pas "décrocher" dès que "Zlatan" rime avec... "platane" ? Le tout prend l'allure d'un "Jump ! Jump !" bien fatigant, d'un "Bulligny faites du bruit" bien harassant, et caetera, et caetera. Dommage car les mérites de ce rappeur sont vantés assez régulièrement - notons quand même qu'il remporté le prix "Coup de coeur du Jury" des Inouïs du Printemps de Bourges 2013. Sans condamner, je m'accorde le bénéfice du doute... A réécouter et à revoir donc, pour ma part.
Au loin, la tartiflette géante guette.
Wax Tailor
Et là voudrais-je crier : "Enfin !". D'abord parce que cela fait des lustres d'éternité que mon cœur souhaitait les croiser, ensuite parce qu'il faut avouer que c'est réellement à ce moment de la soirée que le festival s'"ouvre". Esthétiquement, musicalement, humainement, Wax Tailor a tout pour plaire. (Rappelons que Jean-Christophe Le Saoût se promenait, quelques heures plus tôt, sur le site du JDM, parmi les festivaliers, sac poubelle blanc aux pieds en guise de bottes pour aller... déguster une barquette de frites.) Deux invités qui "hip-hopisent" le tout, une toujours aussi sensuelle Charlotte Savary, des classiques, comme "Que sera" (issu de Tales of Forgotten Melodies), et des morceaux du dernier album - Dusty Rainbow From The Dark. Le set est paraît naturel mais se révèle extrêmement bien rôdé, les effets visuels plus que convaincants. En somme, un réel bonheur.
Christine
Christine s'appelle Christine en hommage au film d'horreur de John Carpenter. Mais Christine est un homme. Et même deux. Christine fait de l'électro. Qui envoie du gros et qui crache dans tes oreilles - on parle d'accents groove, on parle de basses lourdes, on aime les cinématiques étranges et décalées... Ratés au dernier Rolling Saône, je ne suis pas mécontente de voir ce groupe dont tout le monde parle et qui, qu'importe ses affinités musicales, impressionne. A cette heure-ci de la soirée... Rien de tel pour s'enflammer.
Samedi 1er juin - "Je suis ton père, Luc."
Télémaque
Télémaque ouvre le bal du deuxième jour, clairement placé sous le signe du hip-hop. Deux rappeurs : l'un au look joyeusement décalé, l'autre dissimulant des dreads sous une capuche verte. Le son est bon, l'envie est là, l'énergie est palpable. Mais les morceaux sont inégaux. Et puis on est un peu lassé des sempiternels "jump jump" et des invitations perpétuelles à prendre photos et vidéos à poster sur Facebook ou Evergig. L'image du groupe avant sa musique ? Bizarre autant qu'étrange. Mais retenons qu'entre trente-six mille "merci Michel !", Télémaque, intrigant, a réussi à capter notre attention.
Minimal Quartet
Il y a toujours, dans un festival, une révélation – soit un "petit" groupe produisant un "grand" son. C'est le cas de Minimal Quartet, et pas seulement en raison de la superbe d'un bassiste inspiré – cigarillo au bec, mèche au vent et assis. Dans un soleil éclatant, dub et stoner se mêlent de façon élégante et (presque) sûre. On est littéralement captivée. Reste à savoir comment se déhancher et discrètement headbanger en même temps. L'univers musical est bien là, avec du caractère et de l'affirmation, la fusion à son comble, les artistes inspirés et éclatants : on aime.
Capture
Les petits gars – car ils sont jeunes et fringants – ont décidé d'en profiter et se donnent amoureusement sur scène pour partager leur indie rock. Plaisent-ils ? Oui, surtout grâce à l'énergie dépensée par Alexandre Phan. Le tout se laisse bien gentiment écouter, entre pop, indie et cold-wave, jusqu'à une reprise, dont on se serait bien passé de "Rythm of the Night"... à 19h30. Mais oublions : les jeunots ont déjà fait la première partie de Sébastien Tellier, ont sorti un album en mars dernier, et envisage un EP à l'automne. On leur souhaite bonne route.
Art District
Sous un soleil toujours éclatant, Art District prend le relai. La formation, aussi éblouie qu'éblouissante, propose des variations intéressantes - jazz, groove, funk, soul - autour d'une base hip-hop. On aime également le beat-box qui s'immisce dans tout cela et rend le set plutôt attractif et entraînant. Le "métissage" musical, mal maîtrisé, peut rapidement avoir ses limites et virer à la cacophonie, ou à l'expérimental pour happy few, mais ici tout semble bien dosé et se révèle clairement convaincant.
Stig of the Dump
Deux vrais rappeurs américains, bourrés au coca et aux hamburgers, deux "petits" monstres, casquettes vissées sur la tête et tatouages aux mollets, qui font l'effort de se présenter à leur public en français - excusez du peu. On les avait aperçus peu avant, dans le public de Minimal Quartet, smartphone à la main, prenant des photos du concert et sirotant une bière, détendus, souriants, ouverts. Stig of The Dump distille un hip-hop, à l'image de ses rappeurs, gras et lourd, teinté de dubstep avec des tendances hardcore. Agressifs, ironiques, louchant devant l'appareil photo, les deux compères ont en tous les cas fait l'unanimité dans le public - qui, faut-il le préciser, se masse et s'entasse depuis l'ouverture (ensoleillée) des portes.
Groundation
Voici donc LE groupe "reggae" de la programmation du JDM, et la valeur est sûre, entre les choristes voluptueusement ondulantes, les cuivres d'excellence et un Harrison Stafford nerveusement sautillant. On a beau ne pas être très porté sur le style, il faut avouer que le tout est plutôt très bien rôdé. Même si on ne peut s'empêcher d'avoir l'impression, dès le milieu du set, d'entendre la même chose depuis le début - méconnaissance du style oblige, sans doute.
Juvéniles
Juvéniles fait partie de ses groupes au destin fulgurant : leur premier album n'est pas encore sorti (à venir courant juin), que le groupe a déjà signé chez AZ. La synthpop / pop new wave est planante, ambitieuse et déjà... couronnée de succès. Yuksek est le producteur de leur single "Strangers", et les petits feront leur release-party à La Maroquinerie. Mais je reste toujours un peu fâchée avec le style branchouille-hipster-rétro du moment, qui ajoute une pose qui me semble inutile à la musique prodiguée. Le tout est plaisant, alors pourquoi poser ?
IAM
Le JDM, au cours de la soirée, est devenu totalement impraticable. J'entends par là que la foule désormais s'entasse à qui mieux mieux pour se rapprocher dangereusement de la scène où IAM va débarquer. Il est inutile de dire qu'ils volent, sans conteste, la vedette à tous les groupes qui se sont produits jusqu'à présent. Pour les avoir déjà vu au Rolling Saône cette année, force est de constater qu'en quelques semaines, le set s'est encore amélioré - et les heureux élus semblent toujours de première jeunesse. Je ne peux m'empêcher de mentionner ce sourire discret mais persistant d'Akhénaton sur scène. On sent l'envie et l'énergie intactes. Et les anciens "tubes" scellent le tout : du "côté obscur" au "Mia"...
On s'éloigne en silence, dans le noir, en fredonnant... Edition terminée, 18 000 "entrées" (méritées) au rendez-vous... Bravo Michel !
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