Je me souviens, je me rappelle, ces temps, ces lieux chers à mon cœur, et quand le jour baissait, près d’elle, nous écoutions ensemble le disque de The Postal Service. Elle venait d’un pays scandinave, j'étais musicien dans divers orchestres parisiens, nous étions en été. Il y a dix ans. 2003.
A cette époque, Sub Pop a perdu de son lustre. Le grunge si tant est qu’il ait vraiment existé est mort. Moribond mais avec le nez fin, le label se tourne vers des groupes comme The Shins ou Iron and Wine. Il sent aussi qu’il y a un bon coup à faire en signant un projet réunissant Jimmy Tamborello et Benjamin Gibbard, chanteur des Death Cab For Cutie. Les deux musiciens ont déjà collaboré ensemble sur le projet de Tamborello Dntel et la chanson "This is The Dream Of Evan and Chan". Les deux hommes ont alors eu envie de poursuivre l’aventure ensemble. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Ils vivent éloignés l’un de l’autre, Gibbard est à Seatle et Tamborello en Californie. Il y a dix ans Dropbox n’existe pas et le groupe sera obligé de s’envoyer par courrier sur CD-R les différentes parties (chant et instruments pour Gibbard, electro pour Tamborello) travaillées chacun dans son coin. De ce procédé naîtra une relation forte et un nom : The Postal Service. L’album qui sortira, Give up, rencontrera un certain succès et forgera au groupe une base de fans solide. Pourtant, il n’y aura jamais de suite, malgré des rumeurs de reformation en 2006.
Il faut dire que le résultat dépasse les attentes. Et dix ans après, Give up devenu objet de culte n’a pas pris une ride. Le mariage de l'électro pointue de Tamborello et du songwritting sur la corde raide de Gibbard fait toujours mouche. Semblant éloigné loin de l’autre, voire même antagonistes, les deux styles se marient parfaitement, s’imbriquent dans un naturel confondant, véritable osmose, semblant même fait l'un pour l’autre. Chacun apporte à l’autre et vice et versa. C’est le mariage de l’electro presque fantomatique et robotique avec le chant et l’écriture profonde et soignée. On y trouve de grandes mélodies se déployant sur un lit d’électronique pointilleuse et nonchalamment groovy, terreau fertile à de nombreuses émotions et à des changements d’ambiances significatifs : entre chansons plutôt pop ("The District sleeps alone tonight", "Such great heights" – la plus grosse rotation à la radio du label, "Sleeping in", "Nothing Better") et moments plus sombres où Tamborello semble prendre le dessus ("This Place is a prison" ou "Natural anthem").
Cette édition deluxe est pléthorique puisque l’on retrouvera l’intégralité de la production du groupe, soit : le disque remasterisé, deux inédits ("Turn Around" et "A Tattered Line Of String") datant de 2006 au son mélange de haute volée de groove et de mélodies addictives et qui feront à jamais regretter ce deuxième album qui ne verra jamais le jour. On retrouvera également des faces B, des reprises de Flaming Lips ("Suddenly everything has changed"), John Lennon ("Grow old with me") ou même Phil Collins ("Against All Odds" (Take A Look At Me Now)"), divers remix plus ou moins pertinents et deux superbes réappropriations déjà connues de "Such Great Heights" par Iron and Wine et "We Will Become Silhouettes" par The Shins.
Une édition indispensable donc pour ceux qui ne connaîtraient pas encore le groupe ou ceux nostalgiques d’une époque et qui auront encore davantage raison de regretter ce qui ressemble fort aux adieux définitifs du groupe. |