Comédie dramatique de Harold Pinter, mise en scène de Anne Voutey, avec Jacques Roussy, Jean-Philippe Marie et Patrick Alaguératéguy .
Un jeune homme s'interpose dans une bagarre au fond d'une cour. Le vieil homme qu'il sauve lui rappelle-t-il son père? Pourquoi est-il si généreux, au point de l'inviter chez lui et d'écouter avec patience, sa vie de vagabond ?
Sans toit, sans travail, âgé, ne se méfie-t-il pas de ce jeune homme prévenant? La maison où il arrive est un gîte encore bien précaire, qui fuit, encombré de rebuts. Son protecteur n'a pas de travail non plus et il offre néanmoins ce pauvre havre pour se reposer pour prendre goût à l'idée du confort.
Les deux hommes se seraient-ils arrangés gentiment si le frère n'était venu roder, harceler le nouvel arrivant. Balloté entre ces deux hommes étranges le vieillard se sent bientôt pris au piège d'un jeu absurde.
"Le gardien" de Harold Pinter nous décrit un monde sombre de naufragés solitaires, en but à la violence économique, à la violence d'hommes prédateurs. Le rempart d'une vie collective, de liens affectifs, est tombé: laissant chacun à la merci d'autrui, à sa folie comme à sa générosité. Cette violence sociale a détérioré l'humanité des personnes, devenues imprévisibles, oscillant entre colère et tendresse. Jetés hors de la matrice, ils vivent dans la nostalgie d'un lieu chaud et protecteur.
La mise en scène d'Anne Voutey met l'accent sur la tension qui habite les relations des trois personnages comme sous la menace d'un orage près à éclater. Le monde extérieur qu'elle projette sur écran video est un monde de représentations, vieilli factice qui s'incruste comme des séquences de films : la référence à "Orange Mécanique" est explicite.
Les comédiens interprètent un trio mêlant trois générations. Jacques Roussy prête à son personnage, sa gouaille de bourlingueur, hâbleur puis soudain perdu au milieu de la toile d'araignée.
Patrick Alaguératéguy incarne le frère altruiste, celui qui a été trahi quasiment à l'origine, et qui est cassé à jamais. Absent, bercé par la nostalgie de l'amour saura-t-il réparer les circuits électriques de la machine en panne ? Jean-Philippe Marie offre sa stature sportive au second, le frère cadet, complice, menace, sillonnant la ville sur sa planche de skate, en chasse de quoi ?, de qui ?
"Le gardien", "The Caretaker" en anglais, de Harold Pinter est rendu dans toute sa cruauté et sa désespérance, servie par l’interprétation subtile des comédiens. |