Comédie dramatique de Dennis Kelly, mise en scène de Arnaud Anckaert, avec Valérie Marinese, François Godart et Fabrice Gaillard.
Tout à la fois, thriller psychologique, huit clos et drame, "Orphelins" de Denny Kelly, est une œuvre affutée qui pose de nombreuses questions morales.
Helen et Liam, orphelins, ont grandis tant bien que mal ensemble de foyers en familles d'accueils, changeant souvent d'écoles à cause de la brutalité de Liam.
Aujourd'hui Helen est mariée à Danny et ils ont un petit garçon, Shane. Ils vivent dans un quartier populaire où la violence, quotidienne, fait régner un climat de peur chez les riverains et d'impunité pour les petites frappes.
Un soir Liam fait irruption couvert de sang et livre un récit assez confus de ce qui se qui lui est arrivé. Ce qui est sûr c'est que quelqu'un est blessé et que Liam a un casier. Alors que faire ? Appeler la police et livrer Liam à une justice qui verra d'un mauvais œil les antécédents du jeune homme ?
Ne rien faire et laisser peut-être mourir un homme, innocent ou coupable ? Jusqu'où peut-on aller pour protéger sa famille? Est-on un citoyen avant d'être un père, une mère, un frère ? La cellule familiale est-elle le dernier rempart face à la violence du monde ?
Dans un contexte familial et sociétal tendu et douloureux, Dennis Kelly expose sa vision du monde actuel par le biais d'un fait divers. L'empathie pour les protagonistes est forte. Ils nous ressemblent. Ça pourrait être nous, nos cousins, nos voisins.
L'écriture, réaliste de Kelly, et ses personnages très humains, rendent son récit tout à la fois captivant, et oppressant. Balbutiements, bouillonnements de mots, d'idées, de sentiments, l'intrigue semble tâtonner, comme les personnages, alors que le spectateur est bel et bien entrainé dans un enchaînement précis de situations et de révélations.
La mise en scène d'Arnaud Anckaert s'attache à retranscrire tout à la fois le vase clos familial, l'angoissante dangerosité ressentie du monde extérieur et l'ambigüité de la relation entre les personnages qui se dévoile petit à petit au spectateur.
La scène est amputée dans sa profondeur par deux pans de mur en contreplaqué clair disposés en diagonale, plaçant ainsi l'action dans le coin d'une pièce, probablement la salle à manger ou le salon, et créant par là même une ligne de fuite transverse intéressante doublée d'un sentiment de promiscuité angoissant.
Des bandes de lumières, projetées entre les scènes sur les murs alors que le plateau est plongée dans le noir, renforce encore l'effet d'enfermement du trio dans ce qui pourrait s'apparenter à une boîte, qu'elle soit morale ou physique.
L'utilisation ciblée d'effets sonores modifiant les voix et l'univers acoustique sur scène vient amplifier le malaise diffus qui règne entre les personnages, malaise pré-existant et grandissant au fil de l'intrigue et des révélations.
Valérie Marinese (Helen), Fabrice Gaillard (Liam) et François Godart (Danny) interprètent avec brio une partition à trois très délicate. Ils retranscrivent avec beaucoup de talent et de justesse la palette complexe des sentiments qui les habitent, tour à tour, exaspérants, déroutants, émouvants, semblant véritablement habités par leur rôle et ce même après la tombée du rideau.
On ne peut que saluer l'énorme travail d'Arnaud Anckaert et de son équipe qui livrent ici une première adaptation française des plus magistrales de l'œuvre de Dennis Kelly, avec ce petit supplément d'âme qui fait les grands spectacles : ceux qui perdurent dans les esprits longtemps après la représentation.
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